Cap sur l’utopie

« L’abondance pour tous, sinon que le monde s’arrête ! » *

Deux livres récents sur la réimagination hardie du monde méritent bougrement d’être fourrés dans vos sacs d’escapade.

L’Utopie en héritage de Jessica Dos Santos (Presses universitaires François-Rabelais) nous tuyaute fortichement sur le fameux familistère de Guise dans l’Aisne (1888-1968) créé par mon arrière-arrière grand-oncle philanthrope Jean-Baptiste Godin. Soit (c’est le côté réformiste mimi de l’expérience) un palais en guise d’usine ; une humanisation lyrique du turbin ; une répartition probe des bénéfices entre tous ; la perspective d’une entreprise appartenant graduellement à ses ouvriers ; une ambiance cool et solidaire ; un habitat plaisant sur place avec équipement moderne, comme « la trappe à balayures », l’ancêtre du vide-ordures ; des magasins coopératifs vraiment bon marché baptisés « économicats » ; et aussi des douches, des écoles, des jardins, un théâtre, une buanderie-piscine. Mais ce qui transparaît tout au long de l’étude pointilleuse de la chercheuse de l’Irhis1 Dos Santos, c’est ce qui manque à « ce modèle de coopération intégrale » pour qu’on puisse parler en l’espèce de la réalisation d’une utopie anarchiste (avec suppression de la hiérarchie, du salariat, de la pédagogie directive, du culte du travail) ou d’une utopie fouriériste (avec réinvention en tous points ludique de la vie sociale et généralisation effrénée des réjouissances amoureuses).

Place à Rébellion et désobéissance, la Coopérative intégrale catalane d’Emmanuel Daniel (éd. Ateliers Henry Dougier) que je découvre en frissonnant d’excitation. Déjà concocteur du bandatoire Tour de France des alternatives 2, le compère Manu s’envole droit vers l’essentiel en sautant tout d’abord dans les bras des mimiles de la Coopérative intégrale toulousaine, dont l’objectif est de construire des « ponts entre les alternatives et les utopistes isolés », puis dans ceux des incontrolados de la CIC (Coopérative intégrale catalane) qui, via leurs propres « services publics coopératifs » pris en charge par les usagers, proposent qu’on se passe immédiatement de l’État, des banques, de l’euro sans putasser avec le moindre parti. Et ce ne sont pas là que des mots. Parmi les flamboyantes réalisations pratiques du CIC : des logements sociaux baths, des communautés non conformistes, des écoles parallèles, des laboratoires de recherche, des ateliers de machines-outils collectivisées, une conserverie, une banque autogérée sans intérêts, un centre de distribution de nourriture bio couvrant toute la Catalogne. Jambon à cornes ! Mais comment de tels dispositifs anticapitalistes nécessitant des budgets costauds ont-ils pu être mis sur pied ? La plupart de ces fonds proviennent de centaines d’artisans, d’artistes et de petits commerçants (des socios auto-ocupados) jouant le jeu de l’ » insoumission fiscale ». Ou alors d’étonnants braqueurs, comme l’activiste catalan mythique Enric Duran qui a réussi entre 2006 et 2008 à voler 492 000 € à 39 banques sans armes et sans menaces, un butin dont il a fait aussitôt don à des flopées de vilains petits canards rebelles. Lire la suite des exploits revergondeurs du « Robin des banques » dans le brûlot d’Emmanuel Daniel.

Et bien sûr, ne pas non plus oublier de glisser dans vos musettes estivales le génial Maintenant 3 du Comité invisible.

Noël Godin

* Citation de William Morris, un libertaire britannique du XIXe siècle.


1 Institut de recherches historiques du Septentrion.

2 Le Seuil / Reporterre, octobre 2014.

3 La Fabrique, avril 2017.

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