Fiume 1919-1920 : la cinquième saison

Grâce à deux livres rigoureusement documentés et tout à fait grisants, À la fête de la révolution de Claudia Salaris (Rocher, 2006) et La Cinquième saison du monde de Tristan Ranx (Max Milo, 2009), aucun cafard défaitiste ne peut plus en disconvenir : c’est une véritable contre-société libertaire qui a été lyriquement, et ludiquement, expérimentée entre septembre 1919 et décembre 1920 sur la côte Adriatique, dans la ville de Fiume.

Les acteurs : des légionnaires mutinés, qu’on surnommait les « arditi » – conduits par le poète dandy dévissé d’Annunzio (avant qu’il ne se mussolinise lugubrement) –, des dadaïstes, des bolcheviks, des futuristes, des anarchistes, des hédonistes, des aventurières, des syndicalistes révolutionnaires.

Sorte de zone autonome temporaire avant la lettre, la « cité de vie » de Fiume condamne les diverses « forteresses du pouvoir », exhorte à « fracasser tous les autels et tous les piédestaux », proclame la souveraineté populaire, se solidarise avec la jeune révolution soviétique et les peuples insurgés contre la Société des nations prédatrices, invite autant les gonzesses que les gonzes à se débarrasser de toute entrave (à commencer par celle du mariage), ferme les prisons, autorise l’homosexualité, l’usage des stupéfiants et le naturisme, instaure le règne de la fiesta permanente, substitue à l’argent le don et le potlatch, légitime le piratage des navires marchands pour assurer aux Fiumains l’abondance matérielle, fait paver les rues de pétales de roses. Et, pour bien mettre les points sur les i, lorsqu’on tente de les ramener à l’ordre, les rebelles affrètent un aéroplane qui déverse symboliquement sur le siège du Parlement de Rome un… pot de chambre en fer émaillé et une botte de navets. C’en est trop. Mortifié, et épouvanté à l’idée que le goût de la liberté sans freins se propage dans tout le pays, puis partout ailleurs, le gouvernement italien finit, seize mois plus tard, par envoyer des troupes décimer les fêtards. Ils capitulent à leur vingt-deuxième mort. On appelle cette très brève guerre « le Noël de sang ».

À l’instar d’Hakim Bey, Claudia Salaris rapproche la détermination à « oser l’inosable  » des utopistes extravagants de Fiume du meilleur de mai 68 : « la forte charge de subjectivité de masse », « la tentative de créer des formes alternatives d’économie, ou d’anti-économie », « la recherche de nouvelles façons de faire de la politique qui incluent la gaieté, la plaisanterie, la mascarade ».

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1 commentaire
  • 28 janvier 2012, 12:00, par Matthieu

    On peut aussi aller voir dans les oeuvres complètes d’Albert Londres qui raconte son passage à Fiume et sa rencontre avec d’Annunzio. Sinon, David B a sorti en 2007 une BD sur Fiume « Par les chemins noirs » qui donne une bonne idée de l’ambiance de l’époque...

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