chronique périrurale

Des légumes dans leur gazon

C’est un caillou dans la godasse de l’université de Grenoble. Quand la galerie des amphis s’est vidée en 2006, à la fin du mouvement anti-CPE, il n’en est resté qu’un potager collectif, autogéré, installé sur les pelouses du « domaine public de l’état ». Sept années plus tard, les Jardins d’utopie sont toujours là, mémoire bien vivante des luttes étudiantes.

Quand l’avocate a lu le procès verbal1, « elle s’est bien marrée », se souvient un jardinier. Les flics y décrivent comme ils peuvent les Jardins d’utopie : « Constatons […] devant la bibliothèque “Droits et Lettres” qu’un jardin potager a été réalisé sur une surface d’environ six cents mètres carrés. Les plants cultivés comprennent diverses plantations de fruits, légumes et tournesols.  »

« Constatons au même endroit la présence d’une cabane en bois d’environ six mètres carrés, de plusieurs tables et chaises, de divers matériaux. Ces installations ont provoqué la disparition de la pelouse en gazon [...] »

Par Nardo.

« […] un autre jardin potager a été réalisé sur une surface d’environ cent mètres carrés où des fruits et légumes poussent en pleine terre.  »

« L’entretien des espaces verts ne peut être effectué sur les deux sites. »

« Ces installations constituent une occupation abusive et illicite ainsi qu’une dégradation du domaine public [...]. Ces infractions sont passibles d’une contravention de grande voirie... »

Depuis ce coup de pression, le dernier en date d’une longue liste, nulle nouvelle des flics ni du tribunal. « Ce qu’on craint, c’est qu’ils rasent tout pendant les vacances de Noël », s’inquiètent les jardiniers. « Au printemps, tous les arbres fruitiers bourgeonnaient, alors qu’on avait serré les fesses tout l’hiver en espérant qu’ils survivraient à la transplantation. Une semaine après ils les passaient à la débroussailleuse », fulmine Pierre.

Ce mercredi 16 octobre, réunis en AG extraordinaire, ils discutaient des suites à donner au PV, « tellement drôle qu’on s’en sert d’affiche ! » Autour de la cabane de planches, poussent blettes, œillets d’Inde, cardons, physalis, courges, choux, ail et radis… les figuiers donneront plus tard, si on leur en laisse le temps, et c’en est déjà fini des tomates. Les planches sont paillées pour l’hiver. « Ça fait deux ans qu’on fait des cabanes ici. Au printemps, la fac et les syndicats ont fait une réunion pour parler des Jardins et notamment de l’esthétique qui leur convenait pas. On a pris ça en compte, on a fait une cabane jolie, sécurisante… Ils disent aussi qu’on peut pas communiquer avec nous, ce qui est faux : on a des rendez-vous tous les mercredis à 16 h pour jardiner, discuter, boire de la soupe… il y a une boîte aux lettres et à idées, le blog… seulement, pour eux, communiquer c’est accepter tout ce qu’ils disent. »

Entre autres tentatives pour les déloger, Jean-François Vaillant, directeur de l’aménagement durable du campus, a évoqué sans précision ni engagement l’octroi d’un autre terrain plus discret. La mère d’une des jardinières s’étonne : « Si le préfet vous propose un autre terrain, vous n’allez pas refuser ! » « Si ! rétorque Pierre, nous, on veut être visibles. » En arrivant à Grenoble, Pierre a d’abord cultivé une parcelle prêtée par les vieux de sa résidence. Et puis le potager a été rasé pour faire place à un bâtiment : « Les vieux, ça leur a mis un gros coup », se souvient-il. « J’ai transporté ici mes envies de jardin. »

On les retrouve quinze jours plus tard au même endroit, pas pressés de partir. Autour du brasero, épluchant les dernières châtaignes, ce n’est qu’un en-dehors mais c’est comme à la maison. « Le mercredi à 16 h c’est un gros rendez-vous. On assure une continuité de service public ! On veut que les nouveaux puissent avoir des interlocuteurs. N’importe qui peut gérer les Jardins. C’est sûr qu’un type qui passe devant ne saura pas où désherber, alors que des gens qui ont plus de vécu ici savent ce qui pousse le mois suivant. J’aime bien l’exemple du type qui est passé ici trois jours pour désherber, planter des piments, puis est parti au Brésil. C’est d’autres gens qui ont récolté, et mangé, ces piments super forts ! » Beaucoup d’étudiants passaient chaque jour devant le potager sans oser se renseigner. « Sur le tract maintenant il y a écrit “Accueil des nouveaux” et ça a tout changé !  », se réjouit Sabine. Elle a découvert les Jardins par un tract, écrit à la main, invitant à une « récolte au campus  ». « Je croyais que c’était pour cueillir des plantes sauvages comestibles. En fait on a récolté les patates, fait des frites dans la cuisine carriole… c’était avant les cabanes. Depuis je viens toutes les semaines, pour le jardin et le côté politique. »

Sur leur blog, les jardiniers avancent une explication à l’acharnement de l’université : « Sur un campus où l’agitation sociale va et vient au gré des époques, il arrive aussi que les Jardins assurent une continuité militante et endossent un rôle de mémoire des luttes. C’est aussi cela qu’ils veulent briser. »

En 2006, une première planche était bêchée devant la BU Droit et Lettres et en la voyant on pouvait lui trouver une beauté naïve : une provocation pareille, ça ne passerait pas l’hiver. On ne savait pas alors qu’elle survivrait longtemps au mouvement anti-CPE. La galerie des amphis, squattée, repeinte, épicentre de la contestation avait rendu toutes les occupations possibles mais seule celle du dehors devait tenir. «  En 2006, j’étais en troisième ! », se marre Sabine.

Contact :

Pour soutenir les jardins par courrier, encore mieux en cas de procès : Les Jardins d’utopie, chez Solidaires, 12 bis rue des Trembles, 38100 Grenoble.

Rendez-vous tous les mercredis à 16 h devant la BU, arrêt du tram.


1 PV de Grande Voierie du 30 septembre 2013 à retrouver sur le blog des jardins-utopie. Vous pouvez y signer la pétition ou prendre des nouvelles.

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