Déchets nucléaires à Bure : L’Anonymous « emburé »

Dix ans de prison et la menace de 150 000 euros d’amende : c’est la peine qu’encourra Loïc, un Anonymous de 19 ans, en novembre prochain, au tribunal correctionnel de Nancy. Accusé d’« accès et maintien frauduleux » dans un système informatique « commis en bande organisée », l’hacktiviste a surtout commis le crime de dénoncer, via des piratages de sites Internet, le gaspillage d’argent public et le déni de démocratie liés au projet d’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Meuse).

« C’était un mercredi matin, il devait être six heures. Ma petite sœur essaye de me réveiller pour m’avertir qu’on vient de sonner chez nous et que c’est certainement la police qui veut m’arrêter. Mais pas moyen de me réveiller… Les flics entrent dans la chambre, écartent ma petite sœur, et tentent de me réveiller à leur tour. Au même moment, j’entends un grand BOUM, c’est mon père qui, en bas, fait un malaise et tombe par terre. Moi je crois tellement être dans un rêve, un cauchemar plutôt, que... je trouve le moyen de me rendormir. Les flics croient que je fais un malaise aussi. »

Mais Loïc finit par revenir à la réalité, ce 8 avril 2015, et prend conscience de la gravité de la situation lorsque les sept agents de la DGSI le menottent et l’emmènent au commissariat, à Nancy, pour 48 heures de garde à vue. Débarqués spécialement de Paris la veille, les policiers recherchaient notamment son matériel informatique. Perquisition. Arrestation. Un gros quart d’heure à peine d’intervention et tout est terminé. Une opération réglée comme du papier à musique1.

Par Bertoyas.

Au poste, Loïc subira neuf interrogatoires, « qui duraient chacun entre deux et quatre heures » : « Je leur répondais le plus sincèrement possible, croyant que ce serait réciproque, qu’ils auraient un soupçon d’humanité derrière leur uniforme, mais, au contraire, plus ils en savaient sur moi, plus ils en jouaient. Tout était manipulation. » En faisant parfois allusion à des éléments de la vie privée de Loïc en plein interrogatoire, comme une « lettre très personnelle » ou d’autres intimités dénichées dans son disque dur, les policiers exerçaient un chantage constant sur l’Anonymous pour retrouver l’identité de ses complices. « Les policiers m’ont montré qu’on reconnaissait le visage d’un ami qui se trouvait dans ma chambre au moment où je tournais une vidéo. Le flic me lance : “Écoute, on va faire un deal. Tu nous donnes les pseudos des gens qui font partie du comité restreint2 ou ton ami va avoir des ennuis... T’as cinq minutes pour y réfléchir.” » Et si Loïc donne des pseudos, les policiers répondent que cela ne suffit pas, qu’il leur faut davantage d’informations…

Un défi lancé aux élus

En novembre prochain, deux autres personnes poursuivies pour l’opération contre les grands projets inutiles imposés encourront la même peine que Loïc (dix ans d’emprisonnement et/ou 150 000 euros d’amende). L’un, arrêté à Reims, a subi également 48 heures de garde à vue. L’autre a passé « seulement » dix heures au commissariat, à Nantes, mais au prix d’une arrestation encore plus impressionnante que celle de Loïc. En marge d’un procès pour récupération de denrées dans des poubelles de supermarché, une dizaine de policiers et gendarmes lui ont sauté dessus, en pleine rue, dans sa voiture, avant de l’enfourner dans leur camionnette3.

Des peines encourues et des arrestations ahurissantes qui reflètent la crainte des autorités devant l’étendue des grands projets inutiles ciblés4 et surtout l’efficacité des hacktivistes. Pour dénoncer les dangers liés à la « poubelle nucléaire » de Bure, les sites Internet d’acteurs institutionnels de l’Andra, de Cigéo5, du conseil général de la Meuse ou encore du conseil régional ont été piratés plus d’une dizaine de fois en l’espace d’un mois à peine, en décembre 2014. Pendant que les uns se chargeaient de lancer des DDoS, une sorte de sit-in, de blocus en mode numérique, Loïc endossait le « rôle de communicant » et s’occupait de la rédaction des textes revendicatifs, avant de les relayer sur les réseaux sociaux ou dans les médias sous formes de communiqués.

Ensemble, les Anonymous rappelleront le « déni de démocratie » inhérent au projet d’« implantation d’un laboratoire » de l’Andra, en 1993, approuvé par les conseils généraux de la Meuse et de la Haute-Marne, alors que, « dès cette époque, la population s’est plainte de n’avoir pas été consultée pour ces décisions, ni même informée au préalable ». Ils souligneront que, en 2006, une pétition restée sans suite de plus de 60 000 signataires réclamait un référendum sur l’enfouissement des déchets radioactifs. Ils balanceront les tentatives d’influence du lobby nucléaire sur les collectivités territoriales, ces « dizaines de millions d’euros déversés chaque année en Meuse et en Haute-Marne. 30 millions s’infiltrant dans tous les projets sans que les habitants le sachent ».

Suivi à la trace

Décembre 2014, se sentant « trop vulnérable », Loïc décide de tout arrêter. Plus tard, il découvrira dans le dossier d’enquête préliminaire (de 1 400 pages) que « le budget correspondant aux recherches des personnes à l’origine des attaques contre le conseil général de la Meuse aurait été d’environ 10 000 euros ». Le moindre de ses déplacements a été géolocalisé, chacune de ses données minutieusement recueillie par le service du renseignement depuis le mois d’octobre 2014, date de ses premières participations à des opérations contre le conseil général du Tarn destinées à contester le projet du barrage de Sivens.

Autant dire que les pandores réduits à la collecte du moindre déplacement de la souris de Loïc connaissent ce dernier par cœur  : « En garde à vue, se rappelle Loïc, la magistrate me dit  : “Je pense vraiment que vous pouvez oublier l’idée de devenir avocat, mais vous pouvez toujours continuer vos études…” Et là, l’agent qui se trouve à côté complète, d’un ton méprisant : “Vous pourrez toujours devenir maraîcher…” Ils savaient même que j’hésitais entre ces deux métiers  ! » Loïc devrait effectivement se tourner vers le maraîchage, à la rentrée, le temps de repasser le bac en candidat libre la saison prochaine. Car l’Anonymous démasqué n’a pas laissé tomber son objectif de devenir avocat en droit de l’environnement, même s’il a loupé sa capacité en droit, ses démêlés judiciaires y étant pour beaucoup.

Pour autant, il ne regrette pas d’avoir abandonné le lycée où il se sentait « rejeté, méprisé » aux côtés « des fils de haut-placés ». Il en a profité pour découvrir les ZAD de Notre-Dame-des-Landes et du Testet tout en créant sa chaîne YouTube « Anonymous France ». Une mouvance qui a su le séduire davantage que n’importe quelle autre organisation politique. Et ce, pour une raison claire  : « Face à des pros de la com’, il faut vraiment une forme d’action bien plus directe, conclut-il. Il y a trop de débats avant l’action. De plus, on est dans une société dans laquelle l’apparence des gens compte beaucoup trop. Je rejette l’idolâtrie. Justement, dans l’approche militante des Anonymous, j’aimais avant tout cette façon de rester dans l’ombre, de rester dans la représentation de la majorité, de ne pas se monter la tête, et d’être plus connecté sur les idées que sur les identités. »


1 Le PV relatant l’arrestation, évidemment, est tout à fait différent du récit de Loïc : celui-ci n’aurait pas été réveillé en sursaut (la police aurait toqué à la porte de sa chambre), on ne lui aurait pas passé les menottes, le malaise de son père ne serait jamais arrivé, etc.

2 Comité restreint  : modérateurs du tchat, soient les Anonymous les plus impliqués dans le projet.

3 « À Nantes, les méthodes de western de la police pour interpeller un suspect », Isabelle Rimbert, Reporterre, mis en ligne le 5 mai 2015.

4 Parmi les autres cibles de l’opération : l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le Center Parcs de Roybon (Isère), le barrage de Sivens (Tarn), la ligne de à grande vitesse Lyon-Turin et la nouvelle route littorale de La Réunion.

5 Cigéo est l’acronyme du Centre industriel de stockage géologique censé s’implanter à Bure. Ce projet de stockage profond de déchets radioactifs français est mis en œuvre par l’Andra, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

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