Chacune cherche sa chatte

Même (surtout ?) en tant que féministe, il est forcément des femmes dont on n’apprécie pas trop la manière d’être femme. Par exemple, on peut trouver que celles dont la voix est toujours douce, le vocabulaire jamais agressif et l’environnement entièrement rose bonbon seraient bien inspirées de s’endurcir un peu. Tout comme on peut s’irriter des maniérées, des minaudantes et des obsédées du cheveu.

On peut d’autant plus le penser que soi-même, on fait des tas d’efforts pour être une femme vraiment féministe. Bannir définitivement la crème antirides, le rouge à lèvres rose et les talons de plus de 7 centimètres, ne jamais pleurer en public, toujours faire l’amour en amazone, conserver un ton neutre voire autoritaire en toutes circonstances et, surtout, condamner celles de nos congénères qui « donnent une mauvaise image des femmes », « ne font pas honneur à la condition féminine », voire « trahissent l’héritage de nos mères ». Manque de bol, chez les vraies féministes, il y en a toujours de plus pures que les autres.

Par Caroline Sury.

Comme dans le cas d’un homosexuel considérant que la gaypride donne une image trop vulgaire des homosexuels, ou d’une noire trouvant que se défriser les cheveux revient à pactiser avec l’ennemi, se distribuer les bons et les mauvais points entre femmes sur nos manières d’être femme me semble tout à fait suicidaire. Certes, nous aimerions tous que notre rapport à notre statut de dominé soit en parfaite adéquation avec nos convictions. Mais tant que cette domination existe, n’est-ce pas l’affaire de chacune de ses victimes de la vivre comme elle l’entend, le peut, le veut ? N’est-ce pas à chaque femme de décider ce qu’elle garde et ce qu’elle jette parmi les attributs dits féminins, de décider que certains seront des stigmates et d’autres des outils ou des armes, de remettre à plus tard le détricotage de certains schémas, d’accepter de jouer certains jeux s’ils en valent la chandelle ? Se décerner les uns aux autres le statut de bon ou de mauvais noir, de bonne ou de mauvaise féministe, en se fondant sur le rapport que chacun entretient avec son statut de dominé, n’est-ce pas couper les racines d’un mouvement émancipateur ? Dans la mesure où ce qu’un groupe dominé revendique est précisément de pouvoir être ce qu’il a envie d’être, comment exiger de lui qu’il donne une « bonne » image de lui-même ? Être féministe, n’est-ce pas accepter que toutes n’aient pas envie d’être des guerrières et que certaines n’aient pas toujours la force de se battre ?

Et s’il est besoin de se bastonner entre nous, alors attaquons-nous sur nos idées, nos actes, sur ce que nous défendons, faisons, disons. Sur ce que nous assumons et non sur nos façons de négocier au quotidien avec notre domination. Il n’y a pas de mauvais dominés, il n’y a que des mauvaises idées.

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