Quand soudain, c’est le drame : l’homme avec qui nous étions joyeusement en train de nous ébattre débande [1]. Alerte maximale, branle-bas de combat, mayday mayday et, surtout, dilemme : que faire [2] ? On nous a dit qu’il fallait lui assurer que ce n’était pas grave, on nous a dit qu’il ne fallait surtout pas faire comme si ce n’était pas grave, on nous a dit de faire comme si de rien n’était, on nous a dit de l’aider à rebander fissa. Parmi toutes ces consignes passablement contradictoires, on ne sait jamais laquelle choisir et de toute façon, quoi qu’on fasse, il y a deux chances sur trois pour que notre partenaire se sente (au choix) diminué, ridiculisé ou floué.
Face au cas inverse, en revanche, – lorsque c’est nous, femme, qui débandons –, à aucun moment, nulle part, jamais personne ne nous a donné le moindre petit début de marche à suivre. Même le mot n’existe pas : qui parmi nous s’est déjà imaginée « démouiller » ?
Certes, les différences sont notoires : la principale manifestation physique du désir masculin, l’érection, est difficilement camouflable, difficilement falsifiable et… difficilement évitable quand il s’agit de pénétration. Tandis que leurs homologues féminins peuvent faire semblant, mettre du lubrifiant – ou tout simplement souffrir en silence.
Les inéluctables conséquences de cet état de fait sont que lorsqu’un homme débande, le rapport s’interrompt : sa partenaire, en proie aux doutes les plus violents, sombre immédiatement dans les débats intérieurs suscités et finit immanquablement par se voir opposer une contingence physique indépendante de la volonté humaine – fatigue, lois de l’attraction terrestre ou toxicomanie passagère. En revanche, lorsqu’une femme débande, il ne se passe rien. Au mieux, une grimace. Un froncement de sourcil. Une ombre sur le visage.
Dans une écrasante majorité de cas, y compris chez les plus libérées, émancipées et politisées d’entre elles, les femmes n’assument pas d’interrompre elles-mêmes un rapport sexuel. Ce qui signifie que les femmes ne déterminent toujours pas la temporalité des rapports, qui continuent de s’organiser essentiellement autour de l’érection, donc de l’homme. Mais aussi qu’en matière sexuelle, il est toujours attendu de l’homme qu’il « sente », « sache » et « s’y connaisse ». Et enfin qu’au fond d’elles-mêmes, nombre de femmes estiment ne pas vraiment avoir le droit de changer d’avis au milieu d’un rapport : ça fait allumeuse, le corps ne l’impose pas et le désir pourrait très bien revenir d’une minute à l’autre.
Pour finir, gratifions-nous d’un incontournable couplet sur l’obsession de la performance dans les sociétés capitalistes et a fortiori néolibérales. Nous n’en voulons pas, n’est-ce pas ? Alors vivons notre désir avec toute la tranquillité et la liberté qu’il exige. Disons qu’on a envie, pas envie, plutôt envie de ceci et moins envie de cela. Ne forçons rien sauf quand ça nous excite, n’imposons rien sauf quand ça excite, et nous banderons quand nous aurons envie de bander [3].