A l’origine de la gynécologie, il y a indéniablement de nobles intentions : mieux comprendre, au sein de la médecine, le corps si particulier qu’est celui des femmes, mieux accompagner les spécificités que sont les règles, la grossesse ou la ménopause, puis mieux sécuriser la contraception ou l’avortement. Il est tout aussi indéniable que cette profession est régulièrement mise en danger et en sous-effectif chronique.
Pourtant, même avec toute la bienveillance du monde, on ne peut s’empêcher d’avoir régulièrement l’impression diffuse que loin de nous émanciper, la gynécologie sert surtout à exercer un drôle de contrôle sur les femmes et leur sexualité.
Ça commence avec la première visite, celle qui signe une des étapes majeures de notre entrée dans le monde des femmes : incitées à nous épiler soigneusement pour ne pas indisposer l’institution médicale, beaucoup d’entre nous auront alors le loisir d’observer leur vagin à l’aide d’un miroir tendu par le médecin sous les yeux de leur mère, de se voir prescrire la pilule avant même d’avoir débuté leur vie sexuelle, ou de se prendre au passage une remarque bien sentie sur leur surpoids. Plus tard, nombreuses sont celles dont le gynéco exigera qu’elles subissent l’examen entièrement nues (ce que rien d’autre qu’un infime gain de temps ne justifie), ou qu’elles se déshabillent devant lui. Il n’y a rien de rare non plus au spéculum glacial enfoncé sans prévenir, à la tige de coton râpant le col de l’utérus sans explication ou au palpage de seins inutilement insistant. N’oublions pas le délicieux moment de la discussion sur la contraception, qui applique sur les patientes une implacable catégorisation. Partenaires multiples ? Le sourcil froncé prescrira la pilule et enchaînera sur un laïus incluant les mots « préservatif », « dépistage » et « risques ». Grossesse précoce ? Le sourcil haussé imposera un implant à la malheureuse inconsciente forcément infoutue de se souvenir tous les jours qu’elle doit prendre une pilule. En couple depuis longtemps ? Le sourcil détendu consentira peut-être à un stérilet, mais seulement si on est vraiment sage et prête à entendre pour la millième fois qu’il y a dix ans, on ne le prescrivait pas aux nullipares. Selon l’âge qu’on a, on s’entendra aussi dire qu’il est grand temps de s’y mettre ou qu’on peut lancer moult examens et autres traitements pour favoriser les choses. Autre découverte régulièrement faite dans le cabinet d’un gynécologue : c’est parfaitement « normal » d’avoir mal. Les règles, les rapports sexuels, les cystites… et même le spéculum du début de la séance – « Ça, c’est parce que vous n’étiez pas détendue ! »
Cette critique du pouvoir des médecins sur le corps des femmes est loin d’être nouvelle – c’était même un des grands combats menés par nos ancêtres féministes dans les années 1960. Mais à en croire le succès que continue de remporter Martin Winckler, les textes diffusés ces derniers temps sur Internet avec le hashtag « Paye ton utérus » ou le site Gyn&co, qui recense des soignants féministes et déclare que la médecine « demeure un espace privilégié de contrôle des identités, des corps et des sexualités », le sujet reste d’une brûlante actualité.