Violences policières : Quand la BAC frappe et dérape

« Oui, Nancy est confrontée à des problèmes de violence. Dans L’Est Républicain, le maire Laurent Hénart (UDI) jure que le sujet est au cœur de ses préoccupations. » À force de voir pulluler des unes sur l’incivilité et l’insécurité, difficile pour le pékin moyen de penser que la police elle-même est parfois à l’origine de violences. Et pourtant…
Enquête de Franck Dépretz du Nouveau Jour J.

Des poteries et des cendriers alignés dans le respect d’un bazar de Marrakech, des lanternes pyramidales et des tentures de toutes sortes bariolées des couleurs de l’Orient, quelques épais sweats rouges et noirs à capuche aux messages clairs  : « La lutte c’est maintenant », « Halte au terrorisme économique »… La vitrine du Petit Chaouen1, à Nancy, est une invitation à la découverte de l’artisanat du monde mâtinée d’un appel au rejet radical du système capitaliste.

Par Bertoyas.

« Allez-y, montez. C’est au premier. » Rabha et David Klein, le couple de gérants, nous invitent à rejoindre l’appartement familial. Les enfants, après nous avoir salués chaleureusement, sont invités à jouer dans leur chambre. « On essaye de ne plus parler de ça devant eux, justifient les parents, surtout les deux moyens, 9 et 12 ans, qui ont assisté à la scène. » La scène  ? Elle s’est déroulée le 13 mars, entre 17 et 18 heures, au moment d’un contrôle de trois habitués du magasin par la brigade anti-criminalité (BAC). « Un contrôle de trois individus irrégulièrement stationnés sur le trottoir », selon la version des pandores. Habitués des pressions policières en tout genre, Rabha et David Klein observent plutôt des gaillards en train d’ouvrir la porte de leur domicile, et de fouiller dans leur poubelle. « Je lui demande de quel droit il ouvre notre porte et fouille dans nos poubelles… détaille Rabha. Direct, il me répond agressif  : “Y a un problème là ? Je fais ce que je veux, c’est la voie publique ici, ça n’est pas chez vous.” Pendant que je disais  : “Ça ne se fait pas ce que vous êtes en train de faire”, son collègue qui portait une veste Lonsdale commence à dire après nous : “Tu les connais pas ? C’est des gros cons, ils n’aiment pas la police, ils font toujours des scandales, c’est des gros cons  ! Ils sont anti-flics !” Le premier policier commence à me pousser, alors je le pousse à mon tour, et du coup c’est parti… » Le mari se retrouve étranglé et « tiré dans tous les sens » malgré son attelle à la jambe, la femme se fait plaquer au sol, le visage écrasé sur le trottoir. « Mes menottes se sont barrées je ne sais pas comment. Eux disaient : “La putain, elle a enlevé les menottes !” Tout ça, on ne l’entend pas sur la vidéo. Pourtant ma fille venait de commencer à filmer avec son portable. » Une vidéo qui fit grand bruit sur Internet, facilement retrouvable encore aujourd’hui. Pour l’empêcher de filmer, un policier pousse la fille (de douze ans) par terre, pendant qu’un autre policier renverse la poubelle avec son pied. Quand les flics en tenue débarquent, David est soulagé  : « Je leur dis “Vos collègues pètent les plombs”, pensant qu’ils les ramèneraient à la raison, mais en réponse, c’est moi qui suis plaqué, menotté, embarqué ! »

Si le couple pense retrouver sans difficulté des personnes qui ont assisté à cette scène, en revanche, pour la suite, le trajet jusqu’au poste, il n’y a aucun témoin. C’est pourtant à ce moment-là que se seraient produits « les faits les plus graves ». Rabha raconte dans une désolation incendiaire  : « Ça criait dans la voiture, ils pétaient tous les plombs. La première chose qu’on me dit c’est “Gauchiste de merde” et même “Putain de merde”. J’étais plaquée sur le sol, la tête écrasée contre une grosse arme, une sorte de mitraillette, et les deux flics étaient installés sur moi. Les genoux du premier m’écrasaient les jambes, et les genoux du second, celui qui portait la veste Lonsdale, m’écrasaient la nuque. Celui-là essayait aussi de me mettre des claques et il me tirait les cheveux au point que, en arrivant au poste, ils sont tombés par grappes. » Entre les claques et les « Crève, crève  ! » qu’aurait lancés l’agent « Lonsdale », Rabha se retient de vomir et encaisse : « J’ai résisté dans la voiture, je me disais  : il ne faut pas que je lâche, sinon je vais laisser mes gosses, et dans ma tête y avait Idriss, surtout Idriss, qui sautait par terre, qui criait, qui pleurait et qui a suivi la voiture quand j’ai été embarquée. Et les insultes continuaient de pleuvoir : “Votre fille c’est de la merde”, “vos enfants, c’est de la merde”, “vous êtes une famille de merde”, “une famille de racaille”, “retourne dans ton pays”, “si tu n’aimes pas la France, t’as qu’à te casser”. »

Pendant ce temps-là, au magasin, ce n’est pas terminé  : un des deux employés du Petit Chaouen est embarqué – celui qui n’est pas d’origine française… « Je n’ai pas tout le détail de la procédure, mais cette personne a été entendue comme témoin », affirme Nicolas Jolibois, directeur départemental de la sûreté publique de Meurthe-et-Moselle, sur Radio Campus Lorraine. « Mais au final, ils l’ont mis en garde à vue 24 heures… », précise David Klein. L’employé en question aura droit à un avocat puis à un traducteur au poste de police, mais il ne se comprendra ni avec l’un (qui ne parlait pas arabe), ni avec l’autre (qui parlait arabe syrien, mais pas l’arabe dialectal marocain…). « Le traducteur n’a pas arrêté de dire “Signe ! Signe pour ne pas allonger ta garde à vue”. Youssef ne sait même pas ce qu’il a signé », révèle Rabha, qui s’est retrouvée aussi au poste 24 heures. Si cette dernière reconnaît avoir refusé l’avocat, « car je n’y connais rien au niveau des lois et j’étais très énervée », pour son mari, par contre, ce fut plus compliqué  : après 18 heures de garde à vue, on lui explique qu’il n’y a toujours aucun avocat disponible. Il accepte donc d’être entendu seul – « pour en finir ». Précisons qu’avant l’audition, David Klein dénonce la façon dont s’est déroulée sa fouille  : « L’agent de la BAC “Lonsdale” m’a insulté et menacé : “Sale con, moi je fais de la boxe et je vais te péter l’autre jambe”, “On s’est occupés de ta pute de femme, maintenant on va s’occuper de toi”. Alors que je n’étais pas violent et que j’étais menotté dans le dos, un policier m’a fait une balayette – sans se soucier de mon attelle – et j’ai chuté au sol. Un policier de la Bac m’a relevé en m’empoignant par le colback de ma chemise (qu’il a déchiré au passage), puis il m’a dit : “Petite bite, t’as pas de couilles, moi j’ai des couilles et tu vas voir ce qui va t’arriver.” Ils m’ont conduit en cellule. Une fois devant, un flic m’a demandé en criant d’enlever mes chaussures tout en… m’écrasant les pieds avec le sien de façon à ce que je ne puisse pas me déchausser. »

Érigé « big boss des policiers du département » par L’Est Républicain, Nicolas Jolibois répondait nerveusement aux questions de Radio Campus Lorraine avec une certitude déconcertante quand on sait qu’il n’était pas sur le terrain au moment des faits. Ainsi, il justifie la garde à vue par « des faits d’outrage, de violence sur les policiers », et explique qu’elle s’est «  très bien passée, sous le contrôle du parquet ». Les violences et insultes racistes dans la voiture ? « L’avocat pouvait venir dans les deux heures, dans les trois heures, même tout au long de la garde à vue, [Monsieur Klein] a refusé. S’il était en situation totalement injuste, je pense qu’il aurait saisi cette occasion d’avoir un avocat […] pour faire valoir ses droits. » Les violences sur le trottoir du Petit Chaouen ? « Des gestes techniques professionnels d’interventions tels qu’on les enseigne dans les écoles de police. » En somme, la situation est «  tout à fait régulière », et même « tout à fait banale »  : juste un « contrôle de police parfaitement bien maîtrisé par le personnel pris à parti par deux personnes en hystérie2 ».

Dans la salle à manger, David Klein range les documents de la médecine légale qui stipulent une incapacité totale de travail (ITT) de quatre jours pour sa femme et d’un jour pour sa fille. Depuis les premiers contrôles de police du Petit Chaouen il y a dix ans, jamais les conséquences n’avaient été si graves. S’il s’agit d’un acharnement, quelle en serait l’origine ? « C’est vrai qu’à Nancy nous sommes le premier magasin, le plus gros aussi, à avoir proposé des articles “fumeurs”… », remarque Rabha. Mais d’autres boutiques spécialisées dans la vente de produits pour faire pousser les plantes sont apparues depuis, « et elles ne semblent pas être embêtées », ajoute-t-elle. « Les articles “fumeurs” sont ceux que nous vendons le plus avec l’encens, reconnaît le mari. Signalons qu’à la base, ils sont destinés à l’usage de produits licites. Après, forcément, quelqu’un qui vient acheter un bang (pipe à eau) se remarque peut-être plus que quelqu’un qui vient acheter un saladier. »

Le Nouveau Jour J sort un numéro spécial sur les éboueurs qui va rafler le Pulitzer…

Pertinent dans le fond, impertinent dans le ton, Le Nouveau Jour J est l’unique journal lorrain indépendant d’enquêtes sociales et de longs reportages. Diffusé en kiosques, essentiellement sur le Grand Nancy, il demeure « le seul journal nancéien pas encore vendu au Crédit mutuel », à la différence de L’Est Républicain, Vosges Matin ou Les Dernières Nouvelles d’Alsace. Depuis le début de sa précaire aventure, cet irrégulomadaire (bientôt trimestriel) a la prétention de devenir un contrepoids sérieux à l’empire de presse du coin grâce à son équipe 100 % bénévole et ses journalistes professionnels non rémunérés. Le douzième numéro du Nouveau Jour J, très spécial, est sorti en avril dernier et est intitulé « Vis ma vie d’éboueur – La Gestion des déchets vue de l’intérieur ». En quarante pages, il raconte la réalité du métier d’éboueur, du recrutement en intérim jusqu’à l’arrière du camion-benne, à travers l’expérience de son principal rédacteur qui a passé de longs mois dans une filiale de Veolia, prestataire de collecte des déchets du Grand Nancy.

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1 Créé il y a douze ans par David Klein, le Petit Chaouen – qui fait référence à la ville marocaine de Chefchaouen – a été rejoint par La Table du Petit Chaouen, un restaurant végétarien, et Le Petit Chaouen s’habille, une boutique d’impression sur tee-shirt. Ces trois commerces de Nancy emploient cinq personnes en plus des deux gérants, sans compter les nombreux élèves d’écoles et de lycées qui y viennent chaque année en stage.

2 Le 3 juillet, Rabha et David Klein devront répondre à des accusations de « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique », « outrages » et « rébellion » au tribunal correctionnel de Nancy. Ils ont également porté plainte auprès du procureur de la République pour « injure », « injure à caractère racial », « violence » et « violence sur une mineure de moins de quinze ans par personne dépositaire de l’autorité publique ».

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