Bretagne : Un nouvel eldorado minier ?

Depuis plusieurs mois, la Bretagne est la proie de sociétés minières avec la bénédiction des services de l’État. Plusieurs demandes de permis ont été accordées, d’autres sont en cours tandis que l’opposition s’organise.

Lok-envel, la plus petite commune des Côtes d’Armor, attise en ce moment le feu de l’actualité locale. Au comptoir du seul et minuscule café, le Perm (Permis exclusif de recherches minières) est sur toutes les lèvres ; non loin un imposant panneau annonce dans le jardin d’un particulier « Attention  ! Projet Minier ». Accolée à la forêt de Koad an noz1, au centre de son économie depuis toujours (bûcherons, charbonniers, charrons, etc.), Lok-Envel a connu par le passé une importante activité minière dès le XVIIIe siècle (plomb, argent, zinc). Puis, il y a une trentaine d’années, la forêt et les alentours ont fait l’objet de prospections d’uranium soulevant à l’époque, en pleine vague antinucléaire bretonne, les foudres de la population.

Par Emilie Seto.

Pour l’heure, dans la continuité de l’ex-ministère du Redressement productif, le ministère de l’Économie de Macron confirme qu’il s’agit d’engager « le redémarrage d’une activité minière en France métropolitaine, contribuant à la création de richesses et d’emplois dans un cadre écologiquement et socialement responsable ». Ainsi, en Bretagne, sept permis, recouvrant une surface de 143 000 hectares et 111 communes, ont fait l’objet d’une demande. Pour Merleac (22) et Beaulieu (44), c’est déjà plié tandis que Silfiac (56) et Lok-Envel (22) sont en phase de finalisation alors que de nouvelles demandes dans les Monts d’Arrée, axées sur la recherche d’or (Penlan et Lopérec, 29), se profilent de nouveau.

« Variscan’ maez ! » « Variscan dégage ! », peut-on entendre à l’encontre de la société Variscan Mines2 (porteuse de cinq des projets bretons), lors des nombreuses actions de Douar Didoull3. « Le collectif qui regroupe des personnes de tous horizons s’est constitué en décembre 2014 suite à cette demande de Perm », confie Lamine Ndiaye, membre actif. « Depuis le départ, notre message est sans équivoque  : non aux projets miniers, ni ici ni ailleurs  ! Notre rôle pour l’instant est d’informer et de faire prendre conscience aux habitants des dangers d’une exploitation minière, à la fois dans la phase d’exploration, d’exploitation, mais aussi dans la gestion de l’après mine. » Pour cela, le collectif a organisé réunions publiques et conférences, festoù-noz et manifestations réunissant plusieurs centaines de personnes ; des liens se sont tissés avec d’autres régions concernées par ces problématiques extractivistes et les bases d’une coordination à l’échelle nationale se concrétisen4.

Depuis 2011, le gouvernement entend relancer l’activité minière, dont le but est d’atteindre une autonomie en métaux et terres rares (lithium, cadmium, tungstène, antimoine, or, etc.), afin de pallier une demande croissante dans l’industrie des hautes technologies aux enjeux financiers considérables. Ainsi, depuis quatre ans, un processus de réforme de l’actuel code minier, datant de 1810, a été engagé et un groupe de travail constitué. Son rapport devait servir à l’examen de l’avant-projet de loi présenté le 18 mars 2015 par les ministres de l’Économie et de l’Écologie. Bien qu’une réforme du code minier fasse consensus, les parlementaires s’étonnent de l’évolution de cet avant-projet de loi sur le fond lui même, à savoir la possibilité offerte au gouvernement de légiférer par ordonnance. En toute légalité, il serait dès lors possible pour n’importe quelle société d’extraction ne possédant aucun titre minier de procéder à des explorations sur le territoire français sans la moindre information ou contrôle. De plus, l’application aux domaines miniers d’une des mesures phare du choc de simplification – le silence administratif vaut accord – soulève l’opposition de plusieurs parlementaires soucieux de maintenir un code minier distinct du code de l’environnement. Autrement dit, il n’y aurait plus obligation pour les services de l’État à se prononcer sur de futures demandes de permis. Prévue pour l’automne 2015, l’adoption de ce texte semble battre de l’aile au vu des débats et questionnements qu’il engendre, et l’approche des présidentielles de 2017 pourrait encore en retarder la bonne marche.

Le nouveau code minier et cette notion de « mine responsable » présentée dans ces travaux de réforme est un leurre pour les membres du collectif Douar Didoull, tout comme les promesses d’emplois, car selon eux « une mine propre, non polluante, ça n’existe pas ». Et Lamine Ndiaye de poursuivre  : « Le périmètre du Perm est très sensible. Comprenant des zones de protection de la faune et de la flore5, c’est le château d’eau de la Bretagne, à la rencontre de 5 masses d’eau souterraines, sur la ligne de partage des eaux où plusieurs rivières bretonnes prennent leurs sources. » Ainsi, les inquiétudes sont grandes : «  Dès la phase d’exploration, qui durera 5 ans et qui sert aux sociétés minières à spéculer en bourse et à faire miroiter d’importants gisements, les forages par fragmentation de la roche pourront atteindre 1 500 mètres de profondeur et il est prévu d’en réaliser 4,8 km. Ils peuvent avoir des impacts immédiats sur l’environnement et l’activité locale  : perturbation et déviation des cours d’eaux souterrains avec des conséquences possibles sur les forages particuliers (notamment des fermes), dissémination de divers toxiques naturels (arsenic, uranium…) dans l’eau et l’air avec une reconcentration sur les sols. Polluer ici c’est polluer à terme l’ensemble de la Bretagne. » La lutte s’annonce déjà longue et le collectif s’est armé d’un arsenal juridique pour contrer les ambitions de Variscan Mines et le dossier semblerait d’ores et déjà offrir certaines failles.

Si Virginie Doyen, nouvelle édile de Lok Envel, est en partie d’accord avec les arguments du collectif, son combat vise surtout les élus et les services de l’État  : « Nous avons invité les maires des 25 communes et mis en place un comité de suivi. Certains maires se sont prononcés rapidement contre le projet, mais beaucoup n’ont pas encore émis d’avis. Ce qui nous a frappés dans ce dossier, arrivé en mairie juste après les élections, en mai 2014, c’est cette volonté d’aller vite sans nous informer. » Convoqués en sous-préfecture de Guingamp le 30 juin 2014, les maires ont eu le droit à une opération marketing bien ficelée. « Nous avions reçu quelques semaines auparavant un document de plusieurs centaines de pages comprenant les différentes études du projet réalisées par Minélis6 pour Variscan Mines. Bien entendu aucun impact n’est envisagé et nous devions nous prononcer dans les deux mois, une non-réponse valant accord », confie la première magistrate. Mais suite aux actions de Douar Didoull, plutôt bien relayées par les médias, une autre réunion d’information est actée. Plusieurs fois repoussée, elle a finalement lieu, cette fois-ci en préfecture, le 9 avril 2015, en présence de Rémi Galin, responsable au niveau ministériel. Mais, surprise  ! c’est une présentation des travaux de la réforme du code minier (qui pour les intervenants semble déjà acquise) qui est proposée. L’ambiance est tendue entre le préfet, le représentant du ministère et les élus qui désirent avant tout des éclaircissements sur ce qui les concerne localement.

A ce jour, la consultation publique (ouverte du 20 mai au 10 juin 2015) concernant les demandes de permis de Lok Envel et de Silfiac est close et le dossier n’attend plus que la signature du ministre Macron. Comprenant des documents en anglais non traduits et bien que considérée comme une « mascarade purement formelle » par Douar Didoull, cette consultation aura permis de mobiliser des milliers de pétitionnaires et des associations de défense de l’environnement.

Avec le projet d’extraction de sable coquillier en baie de Lannion, la centrale à gaz de Landerneau, le gazoduc Bretagne sud, la ligne THT et l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les projets inutiles s’imposent sur la péninsule armoricaine le plus souvent dans l’opacité la plus totale. Répétitions générales en vue des futurs accords Tafta ? Affaires à suivre.


1 Forêt domaniale de 795 ha gérée par l’Office national des forêts.

2 Société basée à Orléans, fondée par des anciens du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières). Officine d’un montage financier international dont l’organigramme pourrait faire l’objet d’un article à lui tout seul. En 2014, son chiffre d’affaires serait nul.

3 « Terre sans trous » en breton. Pour plus d’infos : par ici !

4 tA signaler le collectif Stop Mines 23 et à noter No mine’s land, second rassemblement contre la méga-industrie minière à Bord-St-Georges (23) le 25 juillet 2015 (http://www.minesencreuse.fr/Eveneme...).

5 Type Natura 2000.

6 Société créée en 2001. Elle a pris son envol en 2003 grâce à une reconnaissance croissante dans le milieu minier.

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Paru dans CQFD n°134 (juillet-août 2015)
Par G. Ar Gag
Illustré par Emilie Seto

Mis en ligne le 27.02.2018