Au petit bazar la chance

Dans ce quartier populaire proche de la gare Saint-Charles, la façade de cette boutique est banale, semblable à celle de ces autres vieux locaux équipés de volets en bois. Aucun signe particulier ne signale ce magasin plein à craquer de livres, de vaisselles, de vêtements et de quantité d’autres objets, tous d’occasion, comme étant un lieu destiné à récolter quelques menues monnaies pour une terrifiante association nommée Article 13.
Par Rémy Cattelain

«  Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état, ainsi que celui de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »

C’est ce que dit justement l’article 13 de la Déclaration de 1948 des droits de l’homme. « C’est pour ça qu’on a choisi ce nom », explique Annick, la cinquantaine joyeuse, une des personnes qui tient cet endroit seulement ouvert l’après-midi. Au milieu de ce bric-à-brac soigneusement rangé, elle poursuit : « Tu vois, c’est la fin de journée. C’est l’heure où des gars du Sleep In voisin, là où dorment des gens qui ont des problèmes liés à la drogue, passent par ici pour qu’on leur donne un ou deux euros et prendre des vêtements propres pour se changer. Rares sont ceux qui ne reviennent pas pour nous payer ce qu’ils peuvent au début du mois, quand ils récupèrent un peu d’argent. » Ailleurs, dans un autre lieu, c’est dans les locaux de l’association Milles Bâbords1 que les membres de l’association Article 13 accueillent une multitude de gens aux parcours difficiles. Ils les écoutent, s’occupent de leurs cas, les orientent dans les labyrinthes des administrations, là pour récupérer des documents, ici pour régulariser leurs situations. Et l’association de mettre, par l’intermédiaire de son réseau, la main à la poche si nécessaire. « Rien que pour une carte de séjour, il faut payer 600 euros à l’état… Sans parler des avocats pour les retenus au CRA, les déplacements et tous les coups de main qu’on donne. Alors, il faut un peu d’argent. Mais notre principe est surtout de ne pas faire les choses à leur place. On fait tout pour qu’ils prennent leur affaire en main », précise Annick, dans un éclat de rire.

« C’est le hasard qui a fait qu’on a ouvert cette boutique vide grenier. Une connaissance m’a dit qu’elle disposait d’un magasin inoccupé et que si on le souhaitait on pouvait le récupérer, explique-t-elle. Puis, elle nous a dit que sa cave était pleine de vieux objets et qu’on pouvait les prendre pour les vendre ici. » Nouvel éclat de rire. « Peu de temps après, on a rencontré une femme qui habite juste à côté qui nous a proposé de vider son logement. On a appelé tout le monde. » Elle semble presque chantonner : « Dans le bar d’en face, à côté de l’église grecque, un gars m’a raconté qu’il vidait un appartement de la Cité Radieuse de Le Corbusier et qu’il y avait plein de bouquins dont il ne voulait pas. Evidemment, on a foncé. »

Par Rémy Comment

Les gens de la rue viennent se servir en vaisselle dès que leur situation s’améliore légèrement. Et Annick d’insister : « Ici, par principe, ce n’est pas la gratuité. Ceux qui n’ont pas d’argent se servent. Mais, on ne refuse jamais l’argent qu’on nous donne : c’est souvent une question de dignité pour eux. Il y a même des gens qui paient plus que le prix annoncé.  » Des gens du quartier «  tous sympas et différents » passent régulièrement. Une voisine a pris en main tout ce qui concerne le courrier et l’information sur la boutique. Joanna, une des filles d’Annick, s’occupe, entre autre gestion du lieu, de faire parvenir des vêtements aux indigents incarcérés aux Baumettes : « C’est pas très simple : il faut trouver le bon chemin et les bonnes personnes. Mais on ne lâche pas… »

Des collectifs de soutien aux Roms trouvent ici de quoi protéger les familles des intempéries. Récemment, c’est à la préparation d’un mariage rassemblant cent quarante personnes qu’elles doivent répondre en fournissant de la vaisselle. Mais ici pas de propagande ostensible : ni affiches, ni tracts, ni drapeaux qui ne plastronnent pour l’association Article 13. « Les gens le savent. C’est mieux de leur en parler directement plutôt qu’avec de la propagande, non ?  », feint-elle de s’interroger en rigolant. Puis, comme pour souffler un peu : « C’est bien de faire tout ça. Ça fait tellement de bien à l’âme et au cerveau… »


1 Mille Bâbords – 61, rue Consolat – 13001 Marseille. http://article13eklablog.

Vide Grenier – 18, rue de la Grande Armée – 13001 Marseille. Tél. 06 44 05 68 93.

Facebook  Twitter  Mastodon  Email   Imprimer
Écrire un commentaire
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.