Avignon
ZAD à venir au pays des santons
Depuis quelques mois couvait le projet d’une action concrète en ceinture verte d’Avignon pour dénoncer un saccage à venir : la construction d’une 2x2 voies devant relier, d’ici 15 ans, l’A9 à l’A7 (ou LEO pour liaison est-ouest), en lieu et place d’habitations, de terres agricoles. Échafaudée depuis un an, cette montée en puissance d’une contestation locale fut le souhait de collectifs, résolus à bousculer l’apparente indifférence face au projet autoroutier.
La ceinture verte d’Avignon, enserrée entre les digues du TGV, une poignée de lotissements, l’affairisme en Courtine, et la zone commerciale de Cap Sud, est un îlot agricole d’ores et déjà muséifié par la pression foncière et le délire de croissance qui anime les élus. Largement méconnue des gens du crû, dotés pour oublier de la plus grande surface d’hypermarchés par habitant à l’échelle européenne, cette tache verte au milieu des infrastructures peut donc disparaître, le désir de nature étant toujours plus verdoyant ailleurs.
Les habitants, eux, le perçoivent de façon plus aiguë. Ils ont à cœur de rappeler la qualité exceptionnelle de ces terres limoneuses mise en péril par l’urbanisation galopante qui accompagnerait la rocade sitôt construite. La plupart d’entre eux reconnaissent les méfaits et le caractère ubuesque du projet LEO. Pour autant, les divergences d’approches et de pratiques contestataires étant manifestes, il n’existe pas de dynamique prompte à rassembler.
Issue de cette situation chaotique, le groupe LEOpart s’est constitué avec des priorités : occuper des terres en vue de les cultiver, redonner vie aux multiples friches, susciter soutien et confiance envers les locaux, pour nombre d’entre eux désabusés. Puis, le souhait d’associer plus largement des populations de la ville à cette occupation-plantation a rendu nécessaire un appel à rassemblement.
Samedi 27 avril. Place Pie, 9h. La pluie commence pour quatre jours. Entre le déploiement d’un barnum et l’agitation des talkies-walkies de la police municipale, nous sommes bientôt plus de deux cents à nous réunir sous les platanes. Atmosphère flottante d’une manif sauvage, binettes, fourches, poucettes, banderoles et batucada. Une sono est déballée, un texte lu à plusieurs voix. Un petit groupe assène ses arguments à la presse locale, « sortir de l’isolement face aux rouleaux compresseurs de l’aménagement du territoire », « opposer à la métropolisation de la ville des pratiques collectives et créatives »…
Le cortège quitte la place, sous bonne escorte de motards. Il est vite rejoint par tracteurs, camions, et dizaines d’autres copains-copines. Étrange cortège qui sort de la ville, traverse la rocade et s’enfonce dans cette campagne si proche. Une petite heure de marche en suivant le chemin de ceux qui allaient pêcher en bord de Durance.
Un camp a été planté, par la centaine de personnes arrivée la veille pour défricher, déballer, transformer l’amas de palettes en scène, buvette et toilettes sèches. À cent mètres de ce qui symbolise ici l’arrogant management du territoire : un pont-rail, censé permettre la traversées de la route express, et construit avant même que l’enquête publique ne soit ouverte. Face au monstre de béton, une plantation collective de patates, première action de fin de cortège. Les pieds dans la boue, un petit air de Notre-Dame-des-Landes. Sous le grand chapiteau, la fanfare réchauffe l’air. La cantine est alimentée par une cueillette sauvage, info-kiosque et coin-mômes se remplissent. Les tentes se montent, on s’abrite où on peut. Avant la soirée festive, une AG rassemble plus de cent personnes pour organiser le campement et discuter de la suite. Poulailler collectif ou anti-spécisme ? Domination ? Chantiers non mixtes, point légal, luttes locales ? Pourquoi on est là ? Le sens des actions ? Et des attentions singulières sont rappelées : un « groupe oreille » se rendra disponible pour entendre ce qui se vit ou se dit difficilement.
Dimanche 28 avril. Sous la pluie, un rucher collectif et un poulailler sortent de terre. Une maison abandonnée sur le tracé, propriété de l’État, est retapée pour devenir « maison de lutte(s) ». On file la main à une amie maraîchère, éjectée par la route, qui se réinstalle non loin de là. Un jeu de piste historique et botanique propose de découvrir les alentours et le tracé supposé de la route. Chacun amende l’info-point de sa proposition d’atelier, de discussion, de covoiturage… Une assemblée rassemble large. Mises au pot de la journée et esquisses du lendemain. Perspectives à plus long terme.
Lundi 29 et mardi 30 avril. Un peu moins de monde sur le camp (retour au turbin oblige), une bonne centaine quand même. Un groupe part au marché d’un quartier voisin pousser la chansonnette. Reclaim the Fields propose des rencontres autour du réseau, de ses actions, des rendez-vous à venir. Discussions sur la méthode : produire quoi, pour qui, comment ? S’ensuit une rencontre entre collectifs de la région Paca qui bataillent pour la défense des terres agricoles. Tandis que la bourse aux graines se met en place, une petite serre s’édifie et le champ de patates s’agrandit. On regarde le plan des lieux alentours avec les voisins amis. On retrace les histoires, celles de familles locales, de personnalités du coin, les liens existants, les stratégies et choses à faire pour empêcher, à terme, la construction d’avoir lieu.
Mercredi 1er mai. 9 h le matin, un rideau de pluie s’abat sur le bourbier. Coup de semonce, qui cédera néanmoins la place au soleil et à un apéro revivifiant avec quelques figures locales, certes intimidées. La clémence retrouvée et la digestion n’altèreront pas l’attention prêtée à la revue Z1. Grand beau, presque trop chaud, et déjà la pensée du démontage maillée aux préparatifs de ceux bien décidés à rester. La soirée de clôture du campement, festive, se transforme en un clin d’œil à une cantine locale qui fête six ans d’existence. Ça joue, ça danse, ça devise au « LEObar ».
Jeudi 2 mai. Réveil au chant du coq. Beaucoup de choses se démontent, c’est pourtant là que tout commence et s’amorce… Tentes et palettes restent en nombre et se remodèlent pour les jours qui suivent. Un rendez-vous est posé pour une AG-chantier dix jours plus tard, sur le lieu du camp.
Épilogue. La promiscuité, la multiplication des visites, des coups de main, faisaient dire récemment à un habitant enraciné, « on a l’impression que la ceinture verte revit ». Une vision qui vient bousculer la résignation, la représentation moribonde du « méchant squatteur ». Ici, qu’on soit paysan sans terre ou sans habitat fixe, on repose la question d’une propriété collective des terres agricoles, on expérimente concrètement des formes d’entraide, on rejette la marchandisation du moindre arpent au bénéfice de société privées.
La LEO, un projet « béton », en passe de devenir un sac de nœuds brûlant pour les candidats à la municipale de 2014 ? Ingénierie coûteuse et inachevée, bluff institutionnel autour d’un budget prétendument bouclé, déclaration d’utilité publique bâclée, troisième tranche à péage, autant de points litigieux qui laissent à penser qu’une opposition bien menée peut porter ses fruits. À quoi sert la LEO, se demande-t-on ? La réponse d’un riverain révèle les enjeux sous-jacents qui ont animé la chambre de commerce et d’industrie à vanter les bienfaits du projet : « Nous disons qu’il est urgent que les tomates d’Andalousie puissent voyager sans contraintes jusqu’en Sicile. »
La lourde machine administrative poursuit sa marche forcée, les rachats pour expropriation sont en cours, des géomètres marquent le sol de leurs présences, sauf interposition comme ce vendredi 3 mai au petit matin. Vu d’en ville c’est le festival qu’on prépare. Vu d’ici, une nouvelle mobilisation doit se mettre en place, les liens avec les locaux se renforcer, « ils peuvent encore refuser de vendre et freiner cette ultime étape avant que la déclaration d’utilité publique ne s’achève fin octobre ; ce qui serait un coût sévère pour le projet », souligne un occupant. Inauguration de la maison LEOpart à venir, dates à suivre sur le blog.
Infos : LEOpart
1 Dernier numéro en date : gouverner par la dette dans la Grèce d’aujourd’hui, point de vue depuis Thessalonique.
Cet article a été publié dans
CQFD n°111 (Mai 2013)
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Paru dans CQFD n°111 (Mai 2013)
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Mis en ligne le 15.06.2013