Une chamane en prison
Millaray Huichalaf, vingt-trois ans, mère d’une petite fille de trois ans, Llanka, est venue en 2008 s’installer dans la communauté de El Roble Carimallín, à la frontière de la région de Los Ríos et de Los Lagos, au sud du Chili.
Elle se souvient que lorsqu’elle était enfant, en ville, elle était souvent malade. Ni sa mère, ni les médecins ne trouvaient d’explication. C’est pour cette raison qu’un jour son père alla consulter une femme-médecin mapuche. Celle-ci lui conseilla de ramener sa fille sur la terre de ses ancêtres pour que Millaray puisse assumer le legs des femmes de sa famille , devenir machi. « Je suis machi de ma communauté, explique-telle aujourd’hui. J’utilise les plantes médicinales pour aider les gens à retrouver leur équilibre biologique. » Être machi, dans la cosmogonie mapuche, signifie non seulement utiliser les plantes de son environnement pour se soigner, mais aussi être un médium entre les membres de la communauté et leurs ancêtres. « Je suis issue d’une famille qui pratiquait déjà la médecine ancestrale sur ce territoire, nous étions partis en ville depuis une génération. À partir du moment où nous sommes revenus, j’ai bénéficié d’un important soutien de la communauté. Ma présence est considérée comme naturelle. C’est ce qui me donne la force pour contribuer à reconstruire notre culture. »
En juillet 2009, le projet d’installation d’un troisième barrage hydroélectrique sur le fleuve Pilmaiquén a été approuvé par la Commission nationale pour l’environnement1. Les communautés n’ont pas été consultées et la présence d’un lieu considéré comme sacré par les Mapuches, appelé Ngen Mapu Kintuante, n’est évidemment pas mentionné dans les rapports. Aujourd’hui, la déforestation a commencé et le barrage menace d’inonder l’endroit où Millaray se rend régulièrement pour demander conseil aux ancêtres au sujet des récoltes, des maladies et du bien-être communautaire. « Ce que ne comprennent pas ceux qui défendent la propriété privée, c’est que, de toute façon, je dois continuer de me rendre au Ngen Mapu Kintuante pour chercher les herbes et soigner les maladies, pour demander des autorisations et pour remercier les ancêtres. Plus de quarante communautés ont manifesté sans peur de la police pour défendre cet espace cérémonial. On n’avait jamais vu ça ici, auparavant. C’est cette résistance qui maintient l’être Mapuche vivant. »
Quelques jours après que nous l’ayons rencontrée, le 30 janvier 2013 à l’aube, la police judiciaire chilienne a fait irruption dans la maison de Millaray et a procédé à son arrestation. Avec six autres personnes arrêtées sur les lieux, elle est accusée d’avoir incendié une maison près de Río Bueno dans la région de Los Ríos et mises en détention. Millaray déclare quelques jours plus tard : « En tant que machi, je suis prête à payer le prix que cette lutte implique en défense de mon territoire, de ses eaux et de toute la spiritualité mapuche. »
Suite du dossier Mapuche : ici.
1 L’entreprise Pilmaiquen S. A. qui mène les travaux compte dans son directoire Hernán Büchi Buc, ancien ministre de l’économie sous Pinochet, particulièrement impliqué dans la privatisation de la production électrique.
Cet article a été publié dans
CQFD n°110 (avril 2013)
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Paru dans CQFD n°110 (avril 2013)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Martin Barzilai
Mis en ligne le 13.06.2013
Dans CQFD n°110 (avril 2013)
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