Reportages en terre indienne
Mapuche : Le cycle de la reconstruction
Au début du XIXe siècle, incapable de venir à bout de la résistance indigène, l’État chilien en formation établit le fleuve Biobío comme frontière entre le Chili et le Wallmapu, nom donné à la nation mapuche et à son territoire. Depuis, l’accord a été balayé par la politique expansionniste de Santiago et le pays mapuche a peu à peu été réduit à 5 % de sa surface originale.
À grand renfort de subventions, notamment durant la dictature de Pinochet, l’exploitation effrénée des ressources naturelles au sud du fleuve Biobío a dopé l’économie chilienne. À l’inverse de cette logique économique, le peuple mapuche considère qu’il faut préserver son environnement naturel. En ce sens, la dépossession des terres n’est pas seulement vécue comme une spoliation de leurs ressources ou de leurs biens, mais aussi et surtout comme la destruction de leur cosmogonie, leur compréhension spirituelle du monde et tout ce qui définit leur mode de vie.
Longtemps, l’exode rural conduira beaucoup de Mapuches à occulter leur langue et leur culture pour ne pas subir la ségrégation sociale. Mais à partir des années 1990, une nouvelle génération va envisager le retour vers ses terres ancestrales en renouant avec une forme de vie plus communautaire. Un volet activiste a accompagné ce réinvestissement culturel. Des actions de sabotage et d’incendie contre les propriétaires terriens et les entreprises de plantations de conifères sont alors menées pour revendiquer l’autodétermination du peuple mapuche. Au début des années 2000, des leaders sont arrêtés, comme Hector Llaitul, Patricia Troncoso et d’autres, subissant de plein fouet les lois anti-terroristes. Le mouvement mapuche est de plus en plus assimilé à une organisation terroriste et se joue alors une véritable guerre de basse intensité. Ainsi, le 3 janvier 2008, Matías Catrileo, étudiant en agronomie et militant de 22 ans, est abattu par la police de plusieurs balles dans le dos lors de l’occupation d’un terrain appartenant à de riches propriétaires terriens. Catrileo devient alors une icône de la cause mapuche, tandis que le carabiniero accusé reste en fonction jusqu’en 2013.
Le 4 janvier 2013, cinq ans plus tard, jour pour jour, le couple de septuagénaires Werner et Vivian Luchsinger, cousins des propriétaires du terrain où a été tué Matías Catrileo – eux mêmes riches propriétaires terriens connus pour ne jamais céder aux demandes de redistribution de terres des Mapuches – sont à leur tour assassinés et leur maison incendiée. Le ministre de l’Intérieur, Andrés Chadwick, en profite pour incriminer le mouvement mapuche dans son ensemble, en dépit des communiqués d’organisations représentatives niant toute responsabilité. Les prisonniers politiques mapuches sont séparés, transférés et leurs requêtes refusées.
Une tentative de dialogue avec le gouvernement est nouée par les organisations les plus conciliantes lors du Sommet sur le mont Ñielol, à Temuco. Le 16 janvier 2013, le leader Aucán Huilcamán convoque les communautés mapuches et les autorités gouvernementales à une rencontre à Teuco – Aucán Huilcamán est considéré par nombre de Mapuches comme un “vendu” parce qu’après avoir lutté dans les années 1990, il a quitté le Chili pour la France, où il a travaillé pour l’UNESCO. Parallèlement, des éléments plus radicaux continuent à incendier des maisons de propriétaires terriens. La mort du couple Luchsinger divise au sein même des organisations les plus contestataires. Ramón Llanquileo, militant politique mapuche emprisonné depuis quatre ans, déclarait quelques jours après le drame : « Cette action a retourné l’opinion publique contre notre cause. » Le mouvement semble désormais être à un tournant de son histoire.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°110 (avril 2013)
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Paru dans CQFD n°110 (avril 2013)
Dans la rubrique Le dossier
Par
Illustré par Martin Barzilai
Mis en ligne le 13.06.2013
Dans CQFD n°110 (avril 2013)
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