Faire ou défaire, c’est...

Toujours irradier !

Pendant que Cadarache se prépare à accueillir ITER, symbole flamboyant de notre avenir énergétique, le vieux réacteur de Superphénix clapote dans une piscine qui fuit et des ferrailles contaminées pourrissent dans un coin. Le nucléaire, c’est moderne comme une décharge.

La fin est proche : les réserves mondiales de pétrole baissent inexorablement et nos centrales nucléaires commencent à sentir le sapin. Aux abois, le gouvernement et ses alliés nucléocrates ont décidé de renouveler le parc de centrales existant avec des réacteurs de nouvelle génération EPR. La construction d’un prototype à Flamanville (Manche) a déjà été décidée. Quant au réacteur de fusion nucléaire ITER1, l’Union Européenne vient de donner son accord à la candidature de Cadarache (Bouches-du-Rhône) au détriment du Japon, qui rêvait lui aussi d’accueillir ce soleil de laboratoire, malgré les dix milliards d’euros à jeter dedans. Mais tout en investissant dans le neuf, EDF veut faire table rase de ses centrales hors d’usage. Outre Superphénix, arrêté en 1997 par Lionel Jospin en cadeau à Dominique Voynet, qui abandonna dès lors la vallée d’Aspe aux bétonneurs, les cocottes nucléaires de Bugey 1 (Ain), Chinon (Indre-et-Loire), Brennilis (Bretagne) et Chooz (Ardennes) sont en cours de désossage. Officiellement, neuf centrales sont aujourd’hui périmées, mais ce n’est qu’un début. Et le coût des travaux, évalué à quinze milliards d’euros, risque de grimper encore : même les commissaires aux comptes d’EDF reconnaissent que les estimations faites à ce jour ne sont pas exemptes « d’éléments d’incertitude majeure ». En prévision de la douloureuse, EDF prélève sur nos factures quelques euros et tente de les

par Jiho

faire fructifier. Cette gestion spéculative n’est toutefois pas sans inconvénients : un rapport commandé en 2003 par Greenpeace chiffre à 1,6 milliard d’euros la totalité de la baisse de valeur de ce bas de laine. D’ici une ou deux décennies, ce cochon de client aurait donc à (re)cracher au bassinet pour mener à bien ce que les poètes d’EDF nomment le « retour à la pelouse ».

Les cas de Marcoule (Gard) et Pierrelatte (Drôme), deux « installations nucléaires de bases secrètes », donnent un avant-goût de cet avenir champêtre. Pour assurer le démantèlement et l’assainissement de ces deux sites, la Cogema, EDF et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) ont créé un groupement d’intérêt économique… qu’ils sont déjà en train de démonter ! Selon Les Échos du 26 novembre, la Cogema et EDF vont verser respectivement 427 millions d’euros et 1,125 milliard d’euros au CEA. Lequel, dorénavant, assurera seul la maîtrise d’œuvre des travaux. Tope là, le contrat ne prévoit pas d’éventuelle rallonge : le CEA – donc l’État – se dépatouillera seul avec le probable surcoût des démantèlements. Dans le cadre de l’ouverture du capital d’EDF et d’Areva (dont la Cogema est une filiale), ce tour de passe-passe permet de rassurer les futurs investisseurs. Mais les ennuis ne se limitent pas au seul porte-monnaie. Une centrale, c’est comme un cancer, ça ne s’efface pas à la va-vite. Pour stocker le cœur du réacteur de Superphénix, extrait en 2003, on n’a ainsi rien trouvé de mieux qu’une piscine. C’est la flotte qui assure le refroidissement de l’engin. Les sept tonnes de plutonium risquent d’y barboter un moment, la direction souhaitant les conserver comme « réserve énergétique » pour le futur. À ceci près que ce type de cœur n’est techniquement pas utilisable dans les réacteurs EPR. De là à en déduire qu’ils ne savent pas où l’entreposer… Interrogée par CQFD, la dame du service communication de Superphénix assure que « la sécurité est garantie  ». Tellement garantie que le 15 octobre dernier une fuite a provoqué une baisse significative du niveau d’eau. « Effectivement », admet-elle… Mais quand on lui demande des précisions sur le débordement d’un réservoir de sûreté suite à cette arrivée excessive d’effluent, elle affirme crânement qu’il « n’y a pas eu de débordement ». Toujours confiant, nous en déduisons que la direction régionale de l’Industrie, de la Recherche et de l’Environnement (DRIRE) délire complètement. Dans son courrier du 27 octobre adressé à la direction de Creys-Malville, elle faisait en effet état de cet incident.

Hélas, le plutonium n’est pas le seul élément encombrant. Il y a aussi les déchets métalliques. C’est la Socatri, filiale d’Areva, qui récupère les ferrailles produites par la filière nucléaire – dont celles issues des démantèlements – et les trie suivant leur niveau de contamination. Son dernier projet consiste à refondre ces métaux contaminés dans les aciéries de la société Feurs Métal (Loire) qui les recycle en pièces d’engins de travaux publics, robinetterie, pièces pour les trains… Or, légalement, de tels déchets devraient rester dans le domaine du nucléaire, pour éviter toute forme de dissémination d’objets potentiellement radioactifs. Mais cela ne semble pas gêner outre mesure ni la Socatri, ni la direction de Feurs Métals, ni la DRIRE, ni le préfet. Ce dernier a même publié un arrêté autorisant Feurs Métal à procéder à des essais, en précisant que le contrôle du protocole serait assuré par… la Socatri et Feurs Métal. Ce qui rend optimiste quant à l’impartialité du jugement… Les salariés de la boîte, qui travaillent déjà dans des conditions de sécurité plus que précaires, s’inquiètent d’autant plus que leur patron joue la carte du chantage à l’emploi. Selon la section CGT de la boîte, il suffirait de « rapatrier de Slovaquie l’activité délocalisée, qui a causé la perte de plus de cent emplois à Feurs ». Pfff… Les salariés ont encore du mal à intégrer que le monde change.


1 Voir « Atomes très crochus », CQFD n°8.

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