Pisté, traqué, fliqué
Solidarité à la française
« Et infirmière, c’est sympa ça non, infirmière ? » Premier rendez-vous à France Travail après dix ans de journalisme au SMIC et un burn-out. Les secteurs qui recrutent : le BTP, la restauration et le social. « Parce que vous savez, c’est pas valorisant d’être au chômage. Si dans trois mois vous ne trouvez pas dans votre secteur, il va falloir penser à une reconversion. France Travail finance de moins en moins de formation. Et puis les contrôles vont se durcir. Après, ce sera les ménages. » Nous devrions nous estimer chanceux d’être parmi les derniers à avoir pu profiter d’une rupture conventionnelle : trop d’abus à ce que disent les politiques. Dorénavant, ce sera le licenciement, une fin de contrat à durée déterminée ou la démission. Sourire compatissant, le conseiller nous colle un suivi 100 % dématérialisé et à une première visio. Entre temps, trois mails par jour de France Travail en moyenne : « Vous êtes en retard sur vos démarches », « Participez au salon des métiers de la sécurité », « Speed dating au Quick sans CV ».
« On vous a bloqué de 10 à 14 heures, mais ne vous inquiétez pas, ça ne prendra qu’une heure. » Nous sommes une dizaine, éclatés en petites fenêtres sur l’écran. Seule la conseillère débite : les chômeurs, « demandeurs d’emploi », ont surtout des devoirs. Premier impératif catégorique : s’actualiser tous les mois et remplir un bilan en ligne mensuel dont la page est régulièrement en maintenance. Il faut être maintenu en activité par tous les moyens : déposer des lettres de motivation sans adresse dans l’espace candidat, constituer un « Parcours emploi », remplir des « tests Pix », pour évaluer nos compétences numériques. Une série interminable d’exercices lunaires pour apprendre à utiliser une boîte mail : « Vous êtes un policier infiltré dans la mafia dirigée par Al Capone. Dans la messagerie ci-dessous, envoyez le courrier électronique suivant à Al Capone (alcapone@pixmail.org) en mettant secrètement en copie votre collègue policière Tatiana (tatiana@pixmail.org). » De quoi justifier les 15 heures d’activité par semaine exigées par le ministère du Travail.
En 2017, l’institution, qui s’appelait encore Pôle Emploi, publiait une infographie sur la journée type du demandeur d’emploi : 7 heures 45, « on se réveille par une petite séance d’exercices à jeun ! Des études prouvent que le sport au réveil permet de booster votre motivation » ; 8 heures 30, douche, « on en profite pour réfléchir à nos objectifs » ; 9 heures 15, « c’est parti pour une recherche efficace » ; 13 heures, « on prend une heure pour répondre à des petits boulots » ; 16 heures, « une heure pour réseauter » ; et ainsi de suite jusqu’à 17 heures 30. La réforme de l’assurance-chômage de 2025 a deux mantras : 3,6 milliards d’économies à mettre sur l’autel de la dette, et durcir les conditions d’accès aux indemnités, pour lesquelles, rappelons-le, le travailleur a cotisé. L’idée : rendre plus coûteux le non-retour à l’emploi qu’accepter un boulot précaire, durant six mois minimum pour avoir droit à l’aide au retour à l’emploi. Mettre la France au travail ou faire fructifier la misère ?
Cet article fantastique est fini. On espère qu’il vous a plu.
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Cet article a été publié dans
CQFD n°245 (octobre 2025)
Ce numéro d’octobre revient, dans un grand dossier spécial, sur le mouvement Bloquons tout et les différentes mobilisations du mois de septembre. Reportages dans les manifestations, sur les piquets de grève, et analyses des moyens d’actions. Le sociologue Nicolas Framont et l’homme politique Olivier Besancenot nous livrent également leur vision de la lutte. Hors dossier, on débunk le discours autour de la dette française, on rencontre les soignant•es en grève de la prison des Baumettes et une journaliste-chômeuse nous raconte les dernières inventions pétées de France Travail.
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Paru dans CQFD n°245 (octobre 2025)
Par
Illustré par Alex Less
Mis en ligne le 25.10.2025
Dans CQFD n°245 (octobre 2025)



