CQFD illustré

Sani, un Nigérien à Angoulême

La divinité de la nuit, 2014. La nuit venue, elle ensorcelle les femmes, les hommes et les maquis.

En prélude à leur très considérable festival de bandes dessinées, les Angoumoisins ont fait une découverte inattendue. Sani Djibo, un Africain, casquette de marlou et allure de matou, est venu rejoindre les bataillons d’auteurs « en résidence » qui battent le pavé du centre-ville. Le fait peut paraître banal mais les habitants de la ville des illusions perdues ont saisi aussitôt la nouveauté décoiffante de cette présence. C’est la première fois qu’un artiste du continent noir bénéficie de cet honneur de la part du festival et des institutions qui l’accompagnent.

Ce dessinateur ne vient pas du Congo comme Chéri Samba qui nous a déjà un peu familiarisés avec la bédé et avec la peinture populaire africaine, mais d’un tout autre, fantastiquement méconnu, que l’ex-empire colonial français a découpé sur la carte du continent : le Niger. Fait extraordinaire, Sani y est le seul véritable auteur du genre. Là-bas, la bédé, on s’en fout radicalement. On ne trouve ni librairies, ni magazines dans l’un des pays les plus pauvres de la planète, seulement des stages organisés par le Centre culturel franco-nigérien et supervisés par le Belgo-Congolais Barly Barlutti qui, aussitôt terminés, retombent comme des soufflés.

Sani : « Je dessine depuis le bas-âge, suivant l’exemple de mes aînés… Mon père m’a acheté une boîte d’aquarelle à l’âge où beaucoup préfèrent jouer au football. J’ai continué tout le temps à dessiner jusqu’à l’université. Je voulais devenir professeur de français et écrire de la poésie comme Léopold Senghor et Aimé Césaire. Mais suite à une rupture amoureuse, qui est le sujet de mon premier livre, Un guerrier Dendi, je me suis lancé dans le dessin et je n’ai plus arrêté. Mes proches trouvaient bizarre que je ne fasse que ça alors que j’avais un diplôme. Mais je ne voulais faire que de l’art, travailler pour l’état c’était devenir un peu esclave. »

Caricaturiste pour la presse, taillable et corvéable à la merci des rédac’chefs décidant de tout (style, texte, gag), gagnant à peine de quoi manger, Sani s’est accroché à un rêve dont la réalisation aurait été impossible sans une succession de hasards, parmi lesquels sa rencontre à Niamey avec Denis Pryen, le grizzli de L’Harmattan, la plus importante maison d’édition du monde francophone en nombre de titres au catalogue.

On sait ce qu’il arrive aux livres publiés par cette ahurissante entreprise  : on ne les trouve dans aucune librairie mais seulement par commande sur Internet. Pourtant, Un guerrier Dendi, le roman graphique et autobiographique de Sani a fait l’objet d’un insistant bouche-à-oreille auprès des bédéphiles les plus curieux – jusqu’à retenir l’attention de la Maison des Auteurs d’Angoulême et du Centre national du livre. Une résidence de six mois a été accordée à ce drôle d’oiseau, ignoré en son pays, qui n’avait jamais pris ni l’avion, ni le train.

Coupe du monde, 2014. L’écran géant universel dans les cabarets togolais et burkinabés de Niamey.

Les Angoumoisins ne sont pas au bout de leurs surprises. Ils découvrent actuellement les peintures de Sani – exposées dans leur somptueux Musée, adossé à la cathédrale Saint-Pierre. C’est encore une première dans l’histoire de la bande dessinée. Sani y a tenu une série de palabres pour raconter son histoire et Jacques Jouet, auteur de Bodo, roman carnavalesque et 100 % nigérien, est venu le rejoindre pour le soutenir. Ces différentes manifestations se sont conclues par la projection de Chronique dessinée pour le petit peuple réalisée par Idi Nouhou, un jeune cinéaste nigérien  : le portrait d’un autre dessinateur qui vend dans les rues et les marchés de Niamey des photocopies de ses caricatures de la politique nigérienne, que nul journal n’oserait publier… Cette étonnante fusion culturelle produite par la ville d’Angoulême vient à peine de commencer : durant le festival, Sani, Placid (auteur d’un reportage à la gouache sur Niamey) et Zou (promoteur de la revue camerounaise Waka Waka), désormais inséparables, participeront aux 24 heures de la bande dessinée.

Sani travaille aussi à sa prochaine bédé qui racontera le parcours de son père, jeune Africain au temps de l’animisme et de la colonisation française, qui part combattre en Indochine dans les troupes coloniales, protégé par de puissants gris-gris  : « Je voudrais montrer à la fois que les Africains ont servi de chair à canon, mais que ceux qui sont revenus sont devenus très respectés dans leur pays et ont pu s’élever socialement. Mon père qui ne savait ni lire ni écrire, a pu voyager à Paris, fonder une grande famille et nous a toujours fait l’éloge du savoir en nous encourageant à faire des études. C’est grâce à lui que je suis l’homme que je suis. »

Le fou du petit marché, 2013. Un incendie a depuis dévasté le petit marché, le fou continue de courir.
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