Les vieux dossiers de France
Marronnage en Amazonie
Des esclaves en fuite qui mettent à genoux des empires coloniaux, vous connaissez ? Bien avant les grandes sagas hollywoodiennes et néanmoins intergalactiques, cela a existé en Amérique du Sud. Imaginez le plateau des Guyanes précisément, avec sa forêt amazonienne, sa végétation dense, ses bestioles, ses Amérindiens. C’est sur cette nouvelle terre promise que notre histoire se déroule, souvent méconnue, car principalement de transmission orale.
De nos jours, l’élite politique guyanaise est essentiellement créole, ce qui a pour conséquence une perception partielle et partiale de la période esclavagiste. Les discours sur la victimisation tendent trop souvent à oublier l’incroyable lutte des fières communautés noires marrons, regroupées ici sous le nom de Bushinengués1 (hommes des bois). Que ce soit en Guyane ou au Suriname voisin, il existe une réelle différence culturelle entre les Créoles, restés des siècles en esclavage, et les Bushis qui se sont très vite échappés pour fonder leurs sociétés d’hommes libres. Alors que les premiers se sont vite acclimatés au mode de vie des Blancs (langue française, société de consommation et intérêt pour les élections2), les Noirs marrons restent relativement distants (désintérêt du modèle électoral et de la langue française, non-reconnaissance des frontières…). Revenons un peu sur les grandes lignes de cette histoire oubliée.
Les colonies françaises, anglaise et hollandaise installèrent au XVIIe siècle des plantations sur le littoral du plateau des Guyanes, assorties de leurs lots d’esclaves. La vie y était rude : épidémies, faune et flore dangereuses, tribus d’Amérindiens farouches, production agricole difficile. Très vite les esclaves profitèrent de la forêt dense pour s’échapper et fonder de discrets villages en amont des fleuves. Devenus de véritables guerriers, ils développèrent leur propre langue et culture. John Gabriel Stedman, un militaire écossais en charge de la protection de plantations, admirait « leur rapide capacité d’adaptation au milieu, mélange de connaissances conservées d’Afrique, de la science des Amérindiens et de leurs propres découvertes ». Pratiquant la guérilla, ils revenaient régulièrement piller les plantations fortifiées dont ils étaient issus, récupérant des armes et libérant d’autres esclaves qui venaient grossir leurs rangs. De plus, les Bushinengués bénéficiaient des renseignements de première main fournis par les esclaves habitant chez les Blancs. En 100 ans, le coût de la guerre et le pouvoir des esclaves en fuite augmentaient dans des proportions telles qu’ils menaçaient la fragile présence coloniale sur le plateau des Guyanes. C’est pourquoi les gouvernements hollandais et français demandèrent progressivement l’arrêt des hostilités avec chaque peuple en lutte.
Le 10 octobre 1760, les Djukas signent le traité d’Auca avec l’organisation des planteurs hollandais (au Suriname), ce qui fait d’eux le premier peuple, sur le continent américain, à obtenir son indépendance des colons européens, soit seize ans avant la déclaration d’indépendance des états-Unis. D’autres traités furent signés ultérieurement avec d’autres Bushinengués (en 1762 avec les Saramakas et en 1767 avec les Matawais3). Mais, certains groupes de Noirs marrons décident de ne pas déposer les armes. Les Alukus, regroupés derrière le légendaire chef Boni, saccagent quatorze plantations en trois ans. La rébellion n’est stoppée qu’en 1793, avec l’arrivée de 1 600 soldats dépêchés spécialement de Hollande et l’instrumentalisation des Djukas maintenant alliés des colons. Bambi, le chef Djuka, décapite Boni et descend le fleuve Maroni pour rapporter sa tête comme preuve de sa victoire. Mais son canot chavire. Cette histoire est devenue une légende, elle symbolise le caractère indomptable du guerrier qui refuse de se rendre, même dans la mort !
Il est intéressant de voir que les monuments en hommage aux Marrons sont essentiellement situés en Guadeloupe et Martinique, lieux où le marronnage demeurait plus marginal. Des historiens, comme Jacques Dumont et Benoît Bérard, se sont penchés sur cette question et sont arrivés à la conclusion qu’il est plus facile d’imposer une réécriture de l’histoire là où les principaux intéressés ne peuvent pas s’exprimer, revendiquer ou contester la parole étatique. Seulement deux monuments de ce genre existent en Guyane, façon de ne pas accorder trop de légitimité à un peuple qui a fait plier des empires coloniaux.
Lorsque approche la date de l’abolition de l’esclavage, jour férié en Guyane, les réactions sont bien différentes entre Amérindiens et Bushinengués d’un côté et Créoles de l’autre. Alors que les Créoles sont en fête, les Bushis passent, placides, le regard un peu déconcerté : « Nous n’avons pas attendu que les Blancs nous rendent notre liberté, nous l’avons prise nous-mêmes. »
1 Noms des peuples de noirs marrons sur le plateau des Guyanes : les Alukus, les Saramakas, les Paramacas, les Djukas, les Kwintis et les Matawais.
2 Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre, mettait déjà en garde sur l’attitude de certains créoles qui ne pensaient qu’à prendre la place du Blanc sans rien changer au système inégalitaire.
3 Richard et Sally Price, Les Marrons, éd.Vents d’ailleurs.
Cet article a été publié dans
CQFD n°121 (avril 2014)
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Paru dans CQFD n°121 (avril 2014)
Dans la rubrique Les vieux dossiers
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Mis en ligne le 27.05.2014
Dans CQFD n°121 (avril 2014)
9 octobre 2015, 02:24, par mambi
Mesdames , Messieurs ,
l’occasion m’est donné de contribuer un temps soit peu à la vérité , en essayant vaille que vaille à maintenir ,à rétablir la vérité , Des générations de "créoles" ont falsifiés l’histoire ; le premier territoire noir libre des Amériques est et restera acompong -Jamaica janvier 1732 , le deuxième est le territoire saramaca ou boni suite au traité de Auca en octobre 1760, saint domingue devenue Haiti est une copie créole des schémas français donc assimilée