Aménagement en Haute-Savoie :

Les JO creusent le Sillon

La candidature d’Annecy aux JO de 2018 fait un mauvais score, et l’action du Comité anti-olympique local y est certainement pour quelque chose. Mais outre ce cirque sportif, les Haut-Savoyards doivent faire face à la destruction de leur territoire, symbolisé par le Sillon alpin.
par ferri

Il y a des détails qui ne trompent pas. Quand Jean-Louis Borloo – ex-ministre de l’Écologie en quête d’une existence nationale – refuse un poste qui lui aurait assuré moult apparitions médiatiques, c’est que ça ne sent pas bon. L’ex-futur Premier ministre s’est en effet vu proposer par Chantal Jouanno, la ministre des Sports, la direction de la candidature d’Annecy aux Jeux Olympiques de 2018. Mais le chef des centristes-de-droite a sagement décliné l’offre.

C’est qu’elle semble bien mal barrée, cette candidature. Alors que le Comité international olympique (CIO) doit décider en juillet prochain qui d’Annecy, Munich ou Pyeongchang (en Corée du Sud), organisera la grande fête du fric et des flics de l’hiver 2018, la préfecture haut-savoyarde est pour l’instant la moins bien placée. Après les mauvaises notes au rapport d’évaluation du CIO en juillet dernier, les tenants des JO annéciens ont essuyé, en décembre, la démission d’Edgar Grospiron – ancien skieur freestyle, nouveau businessman – du poste de directeur général de la candidature. Grospognon, comme on le surnomme en Haute-Savoie, a raccroché ses skis après s’être vu refuser une rallonge budgétaire de 12 millions d’euros, alors que les contribuables ont déjà déboursé près de 20 millions pour financer la candidature.

Si Grospognon n’a pas obtenu la fraîche tant désirée, c’est en partie grâce aux actions du Comité anti-olympique (CAO) d’Annecy. Avant sa création, en janvier 2009, la population annécienne acquiesçait aux élans olympiques de ses élites. Suite au travail du CAO – décorticage du dossier, distribution de tracts sur les marchés et dans la rue –, l’unanimité derrière les jeux a fondu comme neige au soleil. Les raisons de la colère sont diverses, et vont de considérations locales (coût trop important, dossier mal ficelé, fausses créations d’emplois, construction des sites olympiques sur des terres agricoles...) à d’autres plus politiques (manque de démocratie, vernis écologique pour un projet dévastateur, rejet de l’olympisme...).

Khaled Deghane, membre du CAO et président des Amis de la terre Haute-Savoie, témoigne : « Au départ, pour la plupart des gens, les JO, c’était vraiment le rêve, les paillettes, la grande fête internationale. Aujourd’hui, beaucoup en sont revenus, et pensent que c’est une grosse bêtise. […] L’accueil qu’on a dans les rues a évolué. Maintenant, notre action est largement appréciée et comprise. » Les anti-olympiques ont déjà rassemblé de 600 à 1 000 personnes lors de trois manifestations et ont recueilli près de 9 000 signatures. Des chiffres remarquables dans une région plus habituée aux défilés de touristes qu’aux mouvements contestataires, et pour un événement défendu par la quasi-totalité des médias locaux et nationaux – Le Dauphiné libéré (unique quotidien local) et Radio France faisant parti des partenaires officiels d’Annecy 2018.

Si la candidature haut-savoyarde est plutôt mal en point, les ennemis du cirque olympique ne doivent pas crier victoire trop tôt, le CIO pouvant toujours réserver de désagréables surprises. Et puis, avec ou sans les JO, la destruction de ce territoire entre plaine et montagne avance toujours plus vite, plus haut et plus fort. En effet, la Haute-Savoie subit depuis plusieurs dizaines d’années les conséquences de son attractivité économique et de la réputation de son cadre. La population y augmente de plus de 7 000 habitants par an et totalise maintenant plus de 730 000 âmes, soit deux fois plus qu’il y a quarante ans. À travers tout le département, les champs cèdent la place à des résidences ou lotissements plus ou moins identiques, agrémentées de ronds-points et de voies rapides. Les communes autour d’Annecy qui, il y a 25 ans, étaient encore des petits villages, ont vu leur population tripler ou quadrupler et sont maintenant au sein d’une vaste agglomération.

Ce développement rentre dans le projet caché et néanmoins réel du Sillon alpin, à savoir l’édification progressive d’une métropole unique de 220 kilomètres de long entre Genève et Valence, en passant par Annecy, Chambéry et Grenoble1. Regroupant potentiellement plus de deux millions d’Alpins, cette mégaville permettrait aux élites locales de peser dans la compétition économique internationale, et d’attirer investisseurs et autres croque-morts dans un corridor urbain technifié et densifié.

Si la candidature aux JO échoue comme prévu, il restera donc aux Alpins à se battre contre ce projet mégalo. Le 8 janvier dernier, une réunion publique organisée aux Houches (Haute-Savoie) a présenté les liens entre la candidature aux JO et cette gigantesque destruction du territoire. En attendant que cette dernière suscite une mobilisation comparable au cirque olympique.


1 Lire « Le Serpent alpin, ou le saccage du territoire allobroge », sur le site de Pièces et main d’oeuvre.

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Paru dans CQFD n°85 (janvier 2011)
Par Basile Pévin
Mis en ligne le 12.02.2011