Ceux qui se saignent prendront le train

La Souterraine, gare en péril

Deuxième commune de la Creuse, La Souterraine compte 5 000 habitants... et une petite gare SNCF, à l’importance vitale pour tout le département. Il n’empêche : peu à peu vidée de ses dessertes et de son personnel, la station semble promise à un avenir sombre.
Illustration de François Hedin

Sur la voie ferrée qui relie Paris à Toulouse, a circulé de 1960 à 1991 le Capitole, le train le plus rapide de France à l’époque. Mais depuis quelques années, le long de la ligne Polt (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse), un sentiment d’abandon plombe usagers et cheminots. Située à l’extrême nord-est de la Nouvelle-Aquitaine, la gare de La Souterraine est la seule qui permette de rejoindre directement Paris depuis le département de la Creuse. Ce qui n’empêche pas la SNCF d’y réduire l’offre ferroviaire : en 2009, chaque jour, 170 trains passaient encore ici. Dix ans plus tard, ils étaient moins de 50 1. Des dessertes en moins qui font craindre de voir la station se transformer en gare fantôme.

Pourtant, modernisation oblige, son parking champêtre avait été rasé au profit d’un « pôle d’échanges multimodal » inauguré en 2007. un échec flagrant : places de stationnement trop rares, potelets métalliques aujourd’hui défoncés, hauts trottoirs qui ont eu raison de bien des pneus... Si les apprentis skaters perfectionnent leur grind sur le bloc de ferraille rouillée ayant fait office de fontaine, on a rarement vu un aménagement urbain aussi peu fonctionnel au pays du granit et des « maçons de la Creuse ». « C’est là que les ennuis ont commencé… », se remémore Hélène Canet, qui occupe le dernier poste de guichetière.

Personnel supprimé et guichet fermé

5 h 20, voie A. une vingtaine de courageux attendent le premier train à destination de Paris-Austerlitz, dont le député LREM de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau, qui s’en va siéger à l’Assemblée. Fanny a parcouru près de 40 km en voiture depuis Guéret, la préfecture, avec Lou, sa fille de 3 ans. Dans ce département rural, seule la gare de La Souterraine permet de rejoindre en 2 heures 40 la capitale, à 350 km de là. « On monte à Paris pour descendre à Marseille, nous raconte Fanny. C’est la seule solution pour éviter trois ou quatre correspondances. Sans cette gare, ce serait l’enfer… »

Pour accéder au quai à cette heure-ci, on passe à droite du bâtiment, par le portail qui en sécurisait autrefois l’accès. Si le hall est fermé par cette nuit froide de février, ce n’est pas à cause du Covid. Depuis le 3 mai 2021, le guichet ouvre en pointillé. une mesure qui fait suite à l’automatisation de l’aiguillage de la gare en 2019, provoquant la suppression des six postes d’agents de circulation. Sans présence de personnel en dehors des heures d’ouverture du guichet, les voyageurs sont livrés à eux-mêmes. Pas d’assistance et pas même la possibilité d’acheter un billet grande ligne sur une borne libre-service : il n’y en a pas. Les usagers qui se choperont une amende faute de titre de transport n’avaient qu’à vivre ailleurs.

« Sans cette gare, ce serait l’enfer… »

Deux phares au loin signalent l’approche de l’intercité n° 3604, mais l’absence d’agent sur le quai lui donne l’allure d’un train spectral. une fois les voyageurs avalés, il disparaît aussitôt. Claude, peintre en bâtiment, fait partie des travailleurs se rendant à Limoges par le train de 6 h 30 : « J’aurais préféré attendre au chaud. » Et d’ajouter : « Depuis que le hall est fermé, il n’y a personne pour nous prévenir quand le train est remplacé par un car. »

Processus délétère

Dans les médias locaux2, on claironne le début imminent des travaux de rénovation des quais. un chantier à 5 millions d’euros, financé par la SNCF, l’État et la Région. Mise en conformité, réfection des quais, implantation d’ascenseurs desservant le passage souterrain… « Ces travaux, on les demande depuis trente ans », grince Philippe Richert, responsable CGT des cheminots retraités, et membre du collectif Urgence ligne Polt. Mais pour Hélène, également cégétiste, « la Région est en train de subventionner la fermeture du guichet et la suppression du personnel en gare  ! » Si l’on peut se réjouir à l’idée que les ascenseurs et le rehaussement des quais permettent aux personnes à mobilité réduite de voyager sans assistance, Hélène estime qu’une fois ces travaux réalisés, « la direction invoquera le fait que ces personnes peuvent se débrouiller seules : avec les ascenseurs, plus besoin d’agent ».

« Ces travaux, on les demande depuis trente ans »

Ce même processus, d’autres petites gares locales en ont fait les frais : « Ils ont commencé par supprimer les arrêts de trains grandes lignes, puis les agents de circulation, ensuite les guichets », relate Philippe Richert. « Quand on militait pour ces gares-là, on ne pensait pas qu’un jour La Souterraine serait touchée, mais on y est. »

Jeunes en galère

160 000 voyageurs par jour sur la ligne en 2009, moins de 110 000 aujourd’hui. À sa prise de poste à La Souterraine il y a treize ans, Hélène croulait sous les abonnements scolaires. « Maintenant les parents covoiturent. » Mais à près de 2 euros le litre d’essence, impossible pour la mère d’Aurore. Engoncée dans une veste en cuir noir, cette élève en bac pro conseil et vente en animalerie est scolarisée à 100 km de chez elle. Faute de correspondance, chaque vendredi, la jeune fille patiente pendant 4 heures 30 clouée à sa valise dans ce hall de gare ; le kiff absolu de toute ado de 15 ans… à tel point qu’elle a failli renoncer à son orientation.

Dans un département où l’avenir professionnel des jeunes est conditionné au périmètre géographique qui leur est accessible, un simple arrêt non desservi peut changer la donne. Et ça vaut aussi pour ceux qui viennent étudier à La Souterraine. La réputation du pôle design de la cité scolaire Raymond-Loewy attire des étudiants venus de toute la France. Chaque lundi matin, ils descendent du train et traversent la ville, chargés comme des baudets. une soixantaine de voyageurs patientent sur le quai ce vendredi soir, veille des vacances scolaires. Tous ne trouveront pas une place assise dans l’unique wagon du TER. Pour nombre d’entre eux, la proximité du nœud ferroviaire de Limoges est déterminante : « Sans le train, on aurait sans doute choisi une autre filière », admet un groupe de lycéens.

Voyageurs échoués

Au comptoir de l’office du tourisme voisinant la gare, Françoise rembobine : « Trente ans que je travaille sur la place. Avant, les bars ne désemplissaient pas. » Aujourd’hui, des six restaurants qu’on a connus sur la place, seul celui de Patrice fait de la résistance. Vingt-neuf printemps que ce grand baraqué tient le café de la Gare. La réduction des trains, il la mesure au nombre de baguettes qui lui restent sur les bras en fin de journée. Quand la gare est fermée, c’est dans son café qu’échouent les voyageurs désemparés qui ignorent par quel moyen poursuivre leur route. « Parfois, les gens ont loupé une correspondance et se retrouvent sur le quai sans information. Ils me demandent comment trouver un taxi ou un hôtel, mais certains n’ont pas les moyens. Il arrive qu’un voisin les accueille pour la nuit et qu’ils repartent le lendemain. » Pat’ vient combler un manque à l’heure où le service public a plié les gaules. un rôle qui peut être lourd à endosser : « Récemment, c’est un mineur en fugue qui s’est présenté au bar dans la nuit. Il ne savait pas comment rejoindre son foyer à Guéret et m’a demandé d’appeler les gendarmes. »

Sans l’axe Polt et ses dessertes qui irriguent tout un territoire, c’est un maillage qui meurt, un horizon qui se rétrécit pour les habitants du coin. « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien. » Difficile d’oublier cette phrase d’Emmanuel Macron. C’était en juin 2017 à la Station F, une ancienne gare parisienne transformée en incubateur de start-up. C’est ça, la « réussite » ? Gageons que les Creusois ne laisseront pas raser leur gare. Et si d’aventure cela arrivait, sans doute préféreront-ils l’idée d’en faire une plage plutôt qu’une mini-Silicon Valley.

Lily La Fronde
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1 commentaire
  • 1er avril 2022, 14:49

    Rien sur Railcoop ?

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CQFD n°207 (mars 2022)

Dans ce numéro de mars aux belles couleurs roses et rouges, un dossier sur « les saigneurs de l’info », mais aussi : une terrible enquête sur les traces d’un bébé mort aux frontières près de Calais, un voyage au Caire en quête de révolution, un stade brestois vidé de sa substance populaire, un retour sur les ronds-points jaunes, une gare en péril, des cavales, des communards pas si soiffards...

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