Ça brûle
Au bout du monde, Rita…
Dès le retour de nos envoyés spéciaux en Serbie, la rumeur a couru dans tout Marseille : la prune ! De son petit nom : šljivovica. Un bijou artisanal et jaunâtre dans l’habit de lumière d’une grande bouteille de Coca en plastoc, certifié 56 degrés au gnôlomètre et dégotté sur le stand d’une tatie idéale au marché central de Belgrade. Notre précieux, quoi, convoité par nombre de voisins, tandis qu’au local nos trachées assoiffées hésitent à se jeter le premier godet.
Première sur le coup, par l’aubaine alléchée, Margo Chou déboule en plein bouclage et déride notre burn out à coups de culs-secs. Impossible d’y échapper : la Chou est contagieuse. Nous qui étions en train de renouveler nos rencards psy sur Doctolib, on se retrouve après quelques rounds à danser la ronde à la mode des paysans serbes – un, deux, trois pas en avant, un en arrière, droite, gauche, droite, hop ! gauche, et ça repart. Désormais adeptes des mœurs balkaniques les plus douteuses, on casse nos verres sur les murs du local et on enchaîne les concours de bras de fer.
Une fois notre souffle repris et les chakras dégorgés, l’heure est aux belles histoires de notre duo de branquignoles dans les Balkans. La rencontre périlleuse avec le sosie mafieux de La Boule de Fort Boyard. Les accès de parano : « T’es sûr que ce pompiste n’est pas un indic à la solde de Frontex ? » Les petites mesquineries : « Si tu dis aux autres que je ronfle comme un sapeur, je leur dis que tu te cures le nez toute la journée. » Les saucisses, toujours les saucisses, et les cigognes roumaines...
Derrière les tartarinades, un arrière-goût de tristesse, aussi. Le sujet traité là-bas, la condition des exilés au nord de la Serbie, n’est pas des plus réjouissants (euphémisme maousse, voir le dossier). Alors on bifurque vers une valeur sûre et on rend hommage à une compagnonne qui jamais n’a déçu, à Calais ou dans le Limousin comme à Belgrade ou Subotica : la fière Logan Rita. Bien sûr, tout n’a pas été rose pour elle sur la route des Balkans. Elle se fait vieille et cagneuse. Pour qu’elle accepte de démarrer le matin, il ne faut pas oublier de débrancher sa batterie en la bordant le soir. L’absence d’autoradio a eu raison de nos gais piaillements des premières heures, tôt remplacés par une mêlasse de monologues alternés sur la vanité de la vie et la vilenie des douaniers slovènes. L’irritable a même semblé chouïa excédée de tourner dans les rues poussiéreuses de Šid à la recherche d’un bureau de change qui accepterait des couronnes suédoises un peu fatiguées...
Mais on s’en fout de ses rides, de ses bosses et de ses humeurs, car sainte Rita est indéniablement la cador du reportage motorisé débraillé. Et on sait bien qu’elle a donné son cœur à CQFD, qu’elle nous trimballera au bout du monde, au bout de la vie, vroum.
Cet article a été publié dans
CQFD n°209 (mai 2022)
Dans ce numéro de mai promettant de continuer à « mordre et tenir », un dossier de douze pages sur le murs tachés de sang de la forteresse Europe, avec incursion au nord de la Serbie. Mais aussi : un retour sur les racines autoritaires de la Ve République, une dissection des dérives anti-syndicalistes de La Poste, un panorama de la psychanalyse version gauchisme, une « putain de chronique » parlant d’amour, un éloge du piratage de France Inter, des figues, des utopies, des envolées…
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Paru dans CQFD n°209 (mai 2022)
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Mis en ligne le 06.05.2022
Dans CQFD n°209 (mai 2022)
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