Procès pour violences policières
Affaire Legay : « Tout le monde a menti pour protéger l’institution policière »
En ce début d’année, un procès historique a eu lieu au tribunal correctionnel de Lyon : c’est la première fois qu’un commissaire divisionnaire est jugé pour des faits de violences policières. Du 11 au 12 janvier, le commissaire Rabah Souchi a dû répondre de ses actes, accusé de « complicité par ordre de violence par personne dépositaire de l’autorité publique » pour des faits remontant au 23 mars 2019, à Nice. Ce jour-là a lieu une manifestation de Gilets jaunes à laquelle la militante Geneviève Legay participe. Et malgré une foule calme et pacifique, une violente charge policière est ordonnée par Rabah Souchi, projetant au sol la militante d’Attac âgée de 73 ans au moment des faits, et lui causant de graves blessures1. Initialement prévu à Nice, où l’enquête préliminaire avait été confiée à la commissaire divisionnaire Hélène Pedoya, conjointe de Rabah Souchi, le procès a été déplacé au tribunal correctionnel de Lyon grâce aux avocat·es de la victime1.
Premier jour du procès, dans la matinée du 11 janvier. La juge montre les images de la charge où l’on voit Geneviève Legay bousculée par un policier et tombant à terre, le visage ensanglanté. Rabah Souchi affirme que son ordre était adapté à la situation de « trouble » et que Geneviève était déjà au sol « quand la ligne de boucliers arrive à sa hauteur. » Et dénonce son collègue : « La charge n’est pas rentrée au contact des manifestants. C’est le geste du major qui est à l’origine de la chute. » La magistrate met en évidence une autre irrégularité : entre la dernière sommation et la charge, il y aurait eu moins de 4 secondes, ce qui n’est pas suffisant pour permettre à la foule de se disperser. Elle questionne ensuite la nécessité et la proportionnalité de la charge, contestées par le rapport de la gendarmerie et par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN)2. L’accusé se défend : « Après la dernière sommation, il ne s’agit pas d’une manifestation mais d’un délit. Un attroupement occupait illégalement les voies du tramway et empêchait les citoyens de se déplacer normalement. J’avais l’ordre d’évacuer la place. La charge était le seul moyen ». « Vous répondez à propos de la légalité de la charge, poursuit la juge, mais pas de la proportionnalité : comment se comportaient les manifestants ? » La réponse du commissaire révèle une étrange vision de l’ordre public : « C’est une foule, c’est aléatoire. » Appelée à la barre pour témoigner, une militante d’Attac et d’Amnesty parle du droit de manifester, trop souvent remis en cause en France, expliquant que dans une démocratie, la liberté d’expression est plus importante que la circulation du tramway. Mais quand elle prononce les mots « impunité policière », l’avocat du commissaire lui tombe dessus : « Mais qui êtes-vous pour parler d’impunité policière ?! Vous parlez de choses dont vous ne savez rien ! » Ambiance. Il est passé 20 heures. Un policier vient témoigner de ce qu’il s’est passé ce jour-là. Il explique qu’il a reçu l’ordre de refouler les manifestants. Peu satisfait, Rabah Souchi aurait rétorqué : « C’est pas comme ça qu’on fait une charge, vous la refaites, il faut les défoncer. » Ce que le policier en question dit avoir refusé, constatant que la foule était calme.
Deuxième jour du procès. Geneviève Legay peut enfin prendre la parole. « Je suis descendue dans la rue pour revendiquer le droit de manifester. Jusqu’à 11 h 40, tout était calme. Je voyais Rabah Souchi qui parlait au mégaphone mais j’entendais rien. J’étais prête à partir, j’étais pas face aux policiers contrairement à ce qu’a dit Macron. Je me suis dit : “Rien ne peut t’arriver, tu as le drapeau de la paix”, et je me suis réveillée à l’hôpital. » Elle parle aussi des policiers qui sont venus plusieurs fois à l’hôpital pour lui demander, insistants : « C’est bien un journaliste qui vous a fait tomber ? » et continue, les larmes aux yeux : « Ce qui m’a beaucoup blessée, c’est que Macron se permette de me dire que je dois être sage à mon âge. En disant ça, il me retire ma citoyenneté ! » Juste avant midi, les deux avocat·es de Geneviève Legay commencent leurs plaidoiries. Mireille Damiano explique que l’arrêt qui interdisait la manifestation a été ensuite déclaré illégal. Elle ajoute que tout, jusqu’à ce jour, avait été pacifique à Nice et que rien ne laissait supposer des troubles à l’ordre public. Alors que le procureur requiert six mois de prison avec sursis pour le commissaire, reconnaissant un ordre « ni nécessaire, ni proportionnel, ni conforme à la réglementation », son avocat tente le tout pour le tout : « C’est hallucinant que le major qui a provoqué la chute ne soit pas devant votre tribunal. […] Il dit “chargez”, il ne dit pas “tabassez Madame Legay” ni “chargez, j’en veux aucun debout !” » Selon Mediapart, du président Emmanuel Macron au maire de Nice, Christian Estrosi, en passant par Jean-Michel Prêtre, procureur de la République de Nice, ils ont tous menti3. « Tout le monde a menti pour soutenir le commissaire Souchi, explique Arié Alimi, deuxième avocat de Geneviève Legay en sortant du tribunal. Pour protéger l’institution policière ainsi que de manière générale le gouvernement d’Emmanuel Macron, qui, en parlant de sagesse, reproche à Geneviève d’avoir manifesté. » Quant à Geneviève Legay, elle précise : « J’irai manifester jusqu’à ma mort. » Délibéré le 8 mars 2024.
1 Un dépaysement de l’affaire rendu possible par les révélations de Mediapart. « Affaire Geneviève Legay : zones d’ombre et nouveau conflit d’intérêts dans l’enquête », 06/05/2019.
2 En septembre 2020, Mediapart révèle que l’IGPN reconnaît une charge « brutale et violente » en totale disproportion « face à une foule d’une trentaine de personnes assez âgées, très calmes ». Lire : « Affaire Legay : l’IGPN conclut à la disproportion de la charge et dément Macron », 21/09/2021.
3 Écouter les deux podcasts de la journaliste Pascale Pascariello : « Affaire Legay : ils ont tous menti, Macron le premier », Mediapart, 07/01/2024.
Cet article a été publié dans
CQFD n° 227 (février 2024)
Ce numéro 227 signe le retour des grands dossiers thématiques ! « Qui sème la terreur ? », voici la question au programme de notre focus « antiterrorisme versus luttes sociales ». 16 pages en rab ! Hors-dossier, on décrypte aussi l’atmosphère antiféministe ambiante, on interroge le bien-fondé du terme « génocide » pour évoquer les massacres à Gaza, on retourne au lycée (pro) et on écoute Hugo TSR en cramant des trucs.
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Paru dans CQFD n° 227 (février 2024)
Par
Illustré par Mona Lobert
Mis en ligne le 02.02.2024
Dans CQFD n° 227 (février 2024)