Une femme à l’heure des LIP

Avril 1973, une entreprise horlogère de Besançon est rachetée pour être démantelée. Monique Piton a 39 ans et cherche le grand amour en jouant au bowling. « Je voudrais me battre, prendre la parole, faire des choses difficiles, magnifiques et utiles. » Ça tombe bien. L’histoire qui commence va être une des plus belles expériences d’autogestion qu’a connues la France. L’usine emploie 60% de femmes et fabrique des montres, on s’y ennuie comme dans toutes les usines du monde. On ne se connaît pas. On y meurt à petit feu. Face à la fermeture, un comité d’action se crée et va réaliser de grandes choses. Ils commencent par ralentir et saboter le travail en ne communiquant plus les chiffres de la production. Tic tac tic tac. Des affiches apparaissent : «  Interdiction d’aller à plus de 60% ». Au fil des jours, la cadence ralentit à 30%... tandis que l’imagination ne cesse d’exploser à LIP. Le bonheur renaît chaque jour, l’amour en plus, avec Michel, un prof venu du Haut-Doubs. « On se rencontre dans les couloirs ou les ateliers, on se sourit. » Sourire. Comme une preuve du changement. Et les femmes ? Des lionnes qui jettent des chaises sur la police, qui insultent durant des heures les CRS venus occuper l’usine, des enragées qui affrontent les gaz lacrymogènes avec les jeunes gauchistes venus de Bretagne ou du Larzac.

Les CRS pleurent d’humiliation. La rage du peuple ? Plutôt sa revanche tranquille. Quand Monique part quelques jours en vacances avec son autocollant LIP à l’arrière de sa R8 et qu’elle est accrochée par des ouvriers sur la route. Tous veulent l’entendre, tous veulent savoir ce qui se passe à LIP. À l’usine, on se prépare comme en temps de guerre. On planque le butin, des milliers de montres, on prépare des actions : de tous les coins de France, les ouvriers sont prêts à débrayer en cas d’affrontement ou d’occupation ; « Pendant ce temps les cadres errent misérablement dans l’usine, discutent dans les coins. » Mouloudji et Simone Bartel viennent chanter au Palais des Sports. «  Ils chantent la Commune… et LIP, c’est un peu la Commune. » Monique apprend des paroles comme… « Debout, debout, vieux révolutionnaires », tirées du « Triomphe de l’anarchie » de Charles D’Avray. Elle y trouve les mots qui correspondent à ce qu’elle vit à LIP. Ce récit contient plusieurs heures d’enthousiasme et de bonheur populaires. Sans modération.

A lire : C’est possible ! Une femme au cœur de la lutte des LIP (1973-1974), Monique Piton, L’échappée, 2015, 22 euros. 381 pages.

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4 commentaires
  • 5 février 2018, 14:56, par Monique Piton

    je suis l’auteure de ce livre, un copain vient de me transmettre cet article que je n’avais jamais vu........ je suis contente et d’accord avec cette présentation. Avril 1973 !!! ah ! ah ! j’avais 39 ans et là j’aurai 84 ans en avril ! ouille ouille !

    • 17 février 2018, 09:12, par Andrée

      j’ai le bonheur de connaître Monique, ses 84 ans ne sont réels que sur son acte de naissance ! Toujours active, déterminée et humaine comme elle l’était à 39 ans... j’en suis certaine bien que n’ayant pas eu la chance de la connaître en ces années de lutte ! La lecture de ses ouvrages (car celui que l’article cite n’est pas le seul qu’elle a écrit) nous démontre que tout est possible quand le coeur s’allie au courage pour faire front aux situations les plus injustes méprisant le monde du travail et le Vivant en général. L’Amitié n’est pas un vain mot pour Monique. Nous en voudrions beaucoup des « comme elle » en ce monde où les valeurs peinent.

  • 5 février 2018, 15:57, par Videlina

    Vivant, dynamique, historique, féministe. Un témoignage d’une époque, des luttes ouvrières et des luttes des femmes contre le viol qui n’était alors pas encore reconnu comme un crime. A ne pas manquer.

  • 5 février 2018, 18:02, par isabelle de vuillafans

    Oui il faut lire ce livre parce qu’il est beau simple et intéressant. Monique est une lutteuse, une femme libre. Elle a aussi écrit ses mémoires « Mémoires libres » ed Syllepse, 2010 qu’il faut lire aussi. Une femme qui pense et qui agit. Un personnage et une écrivaine

  • 5 février 2018, 19:31, par Fabienne

    Il y a maintenant 45 ans que Monique, ma cousine, participait et soutenait cette lutte chez LIP. Je n’avais que 15 ans à cette époque, mais en famille, nous avons tous suivi« cette occupation d’usine ». Monique a toujours fait preuve d’un engagement et d’un courage de Femme libre dans un monde dominé par des hommes pas toujours respectables.

    Il faut lire tous les livres de cette auteure pour comprendre que la lutte des Femmes a été le ciment de son existence et qu’encore aujourd’hui il faut pourtant se défendre pour que la FEMME soit respectée et qu’elle ait tout simplement sa place.

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