Queen Kong

Trente ans dans la vie d’une femme

Par Caroline Sury

À 5 ans, on est marrante : on raconte des blagues sur les crottes de nez, on a bien compris qu’on n’avait pas de zizi, mais ça nous convient parfaitement, et on adore expliquer à qui veut l’entendre comment on fait les bébés.

À 10 ans, on est contente : on a des couettes, on boit de la grenadine et on trouve les garçons bêtes, parce qu’on préfère les chats, les chevaux, les dauphins ou les motos.

À 15 ans, on est légère : on a nos règles en plus d’un tas de boutons blancs, on a hâte de faire quelque chose de ce corps qui se déforme autant qu’il se forme, on aimerait bien rouler des pelles aux voisin, voisine, mais on ne sait pas comment s’y prendre avec cet encombrant appareil dentaire.

À 20 ans, on est insouciante : on commence à s’épanouir sexuellement, on maîtrise notre contraception, on expérimente des choses, on en exige d’autres.

À 25 ans, on a la vie devant nous : on commence tant bien que mal à travailler, on essuie – rapidement – nos premières larmes de chagrins d’amour, on se demande si s’installer en couple c’est bourgeois ou « romantchique », on doute d’arriver un jour à arrêter de boire.

Et à 30 ans... À 30 ans ? Ben, c’est terminé.

À 30 ans, on disparaît de la littérature, du cinéma, des affiches de publicité, de la peinture, de la sculpture, des profils mis en avant sur les sites de rencontres1. On disparaît de l’entourage des hommes grisonnants (comme George Clooney), de la rue où on se faisait siffler, des bars où ça draguait. On disparaît des échelles de comparaison, des magazines féminins, des podiums et des salons hard. On disparaît des petites annonces et des grandes épopées.

Si on voulait résumer cette situation un peu brutalement, on dirait que pour qu’une femme soit baisable, visible, crédible et perçue comme digne d’intérêt, il vaut mieux qu’elle soit aussi capable d’enfanter. La bonne blague, c’est que ça ne marche déjà plus quand elle est précisément en train d’enfanter. Et que ça marche évidemment encore moins une fois qu’elle l’a fait.

Bien sûr, tout n’est pas si affreux. Bien sûr, il existe des hommes qui ont plus réfléchi que d’autres. Bien sûr, il existe des femmes heureuses qu’on leur foute un peu la paix. Bien sûr, il existe toutes sortes de variations et de résistances individuelles à ce constat.

Mais il n’empêche que l’intérêt que les hommes portent aux femmes, donc aussi l’intérêt que le public de tout ce qui est produit par des hommes porte aux femmes, semble fortement déterminé par un instinct de reproduction digne d’un vélociraptor.

Ce qui nous conduit à un certain nombre de questions. Est-ce qu’à un moment, on va pouvoir trouver belle une femme de 60 ans sans être suspecté de condescendance ? Est-ce qu’à un moment, dans les films, les femmes pourront avoir à peu près le même âge que les hommes avec qui elles couchent ? Est-ce qu’à un moment, on pourra se défaire de ce sentiment si oppressant qui s’abat sur nous dès qu’on atteint la trentaine – celui de ne disposer que d’une toute petite fenêtre, d’une dizaine d’années maximum, pour faire ce que nous voulons de nos vies amoureuse, sexuelle, professionnelle et familiale ?


1 Plus précisément, on pourrait dire qu’avant 30 ans, les femmes sont déjà plutôt absentes de la partie création ou production de ces domaines (par exemple en termes de réalisatrices de cinéma) ; après 30 ans, elles quittent aussi la partie « représentation » (par exemple en termes d’actrices avec des rôles importants).

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