Saintes, mères ou putains

Du grand fatras des discours sur la prostitution, seule la condamnation des réseaux mafieux, au sein desquels des femmes sont réduites en esclavage, semble faire consensus. Car globalement, deux pôles opposés émergent au sein des débats : le premier considère la prostitution comme une activité forcément subie, une violence contre les femmes ; le second, quant à lui, présente la prostitution comme un choix d’activité possible. C’est ce second pôle, représenté notamment par le Syndicat des travailleur(se)s du sexe (Strass), qui était à l’honneur le mois dernier dans l’article « Sur le dos des tapins »1. Ce pôle-là tient de plus en plus de place dans les médias de gauche, et cela semble doublement logique : d’une part parce qu’il s’agit de dénoncer les conséquences dramatiques, pour les personnes prostituées, des lois sécuritaires qui ont été votées ces dernières années ; d’autre part, parce

par Tanxxx

qu’il s’agit de donner la parole directement à des personnes prostituées.

Mais il serait franchement paresseux de s’arrêter là. Car la question de la prostitution déborde la population des prostitué(e)s. Elle interroge plus largement la hiérarchie entre deux classes sociales, celle des hommes et des femmes, leurs rapports, et ce que l’une peut imposer à l’autre ; elle questionne une relation du type « service féminin » (sexuel, domestique ou reproductif) contre « compensation masculine » (financière, en nature, etc.), cet échange inégal qui se décline dans toutes les sphères de la vie sociale, de la plus publique à la plus intime, de la plus légitimée (le mariage) à la plus réprouvée (la prostitution). Dès lors, on peut se demander si la possibilité pour les femmes de tirer un bénéfice pécuniaire explicite de cet « échange » constitue une réelle prise d’autonomie ; si la hiérarchie homme-femme dans l’échange se trouve réellement modifiée par l’exigence d’un dédommagement financier au service rendu. Autrement dit, si la libéralisation de la prostitution, comme l’exige le Strass par exemple, constitue une réelle subversion de la hiérarchie des rapports entre les hommes et les femmes. Est-ce que la lutte contre le patriarcat et le capitalisme peut se contenter d’avoir comme seul horizon la libéralisation des activités venant répondre aux injonctions de ceux qui se trouvent en position dominante dans ces systèmes ? Cette libéralisation serait-elle une fin en soi ou une étape vers une organisation sociale que l’on voudrait enfin débarrassée de cette relation hiérarchique et oppressive ? Dans quelle perspective de transformation des rapports sociaux de sexe nous inscrivons-nous ? Voilà peut-être quelques pistes qu’il faudrait que toutes les femmes (re)commencent à interroger, qu’elles soient saintes, mères ou putains.


1 CQFD n°96, janvier 2012.

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