Pegida : au « world café » des patriotes

Les « patriotes » sont dans la rue ? Les néo-nazis se lâchent ? Les Dupont-Lajoie saxons font des heures sup’ ? Pas de panique  ! Invitons tous ces braves gens à venir papoter tranquillou autour d’une tasse de café, histoire d’engager avec eux un dialogue (constructif) et de répondre à leurs inquiétudes (légitimes). Le 21 janvier, quelque trois cents sympathisants de Pegida – acronyme à succès des Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident, fraternité blanche est-allemande qui mobilise une foule de plus en plus volumineuse dans les rues de Dresde chaque semaine depuis trois mois – s’engouffrent donc au Congress Center de Dresde à l’appel de Stanislaw Tillich, le président chrétien-démocrate du Land de Saxe.

Pour optimiser cette cure de lavements à la démocratie participative, le président Tillich lui a donné une appellation souriante, évocatrice de gobelets bio et d’ouverture au monde  : le « world café ». Il s’agit d’un concept managérial importé des États-Unis, qui consiste à « créer un climat de confiance et de convivialité » en faisant croire au nigaud que « tout le monde a sa place et que toutes les personnes présentes sont nécessaires ». C’est donc sous les auspices d’une charlatanerie de consultant en com’ que les heureux élus tirés au sort prennent place autour d’une cinquantaine de tables, par petits « groupes de discussion » de cinq ou six, chaque ronde ayant pour mission de perfuser un jus de crâne sur LE sujet crucial – l’islam, et comment faire en sorte qu’on ne finisse pas tous forcés le sabre sous la gorge à manger des bratwursts halal – et d’en tirer une synthèse qui sera ensuite remise au président aux fins de dialogue. Celui-ci se tient modestement assis à une table de discussion, aux côtés de six péquins babas de se trouver en si illustre compagnie. Dans son discours de bienvenue, il explique qu’il faut arrêter de diaboliser les manifestants de Pegida et qu’il lui tient à cœur de les entendre pour piger « ce qui les préoccupe ». Regroupés sur une tribune un peu plus loin, les journalistes prennent des notes.

Ce désir de comprendre, le président l’avait déjà exprimé deux mois plus tôt, avec la création annoncée par voie de presse d’une unité de police spécialisée dans la surveillance des demandeurs d’asile. Les réfugiés sont pourtant peu nombreux en Saxe et plutôt pressés d’en repartir  : ce Land très homogène en peaux blanches, où les étrangers ne représentent que 2,8 % de la population, est aussi l’une des régions d’Allemagne les plus enclines aux violences racistes. Selon l’ONG ProAsyl, la Saxe bat des records en termes d’attaques contre des foyers d’hébergement (153 incidents de ce type recensés en 2014 sur le territoire allemand). Sur une page facebook ouverte en janvier, des réfugiés érythréens de Dresde relatent les marques d’attention dont ils font l’objet de la part des autochtones (insultes, crachats, jets de bouteilles…) et leur souhait de quitter la Saxe au plus vite pour des coins plus accueillants – un vœu que les autorités refusent d’exaucer pour l’instant. Le gouvernement Tillich a déjà assez à faire avec la mise en place de sa police spéciale anti-migrants.

Pas un seul ressortissant étranger n’a été convié au « world café » du président, de sorte que les débats ont pu se dérouler sereinement et dans la dignité. Tillich en a résumé l’esprit quelques jours plus tard en lâchant dans une interview  : « L’islam n’a pas sa place en Saxe. »

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