Socialiste sa maire
Nantes : la vie en rose bobo
Le développement économique moderne a une sale gueule. Mi-février, BNP Paribas a inauguré dans le centre de Nantes de discrets bureaux de gestion de fortunes ciblant des richards détenant au moins « cinq millions d’euros d’actifs financiers sur leurs comptes ». « Nantes-la-Rouge » des grèves insurrectionnelles de 1955 et de l’alliance ouvriers-paysans-étudiants de Mai-68 a bien changé.
La ville devenue un petit nid à rupins ? C’est le résultat d’années de gestion socio-libérale. Maire PS de 1989 à 2012, Jean-Marc Ayrault a misé sur la culture pour redorer l’image de sa cité. Sa dauphine désignée, Johanna Rolland, lui a succédé à la mairie et à la communauté urbaine en 2014. Mais l’épigone s’intéresse beaucoup moins aux bestioles géantes du Royal de luxe que son prédécesseur, le secteur ayant déjà récolté ses retours sur investissement. Désormais, la ville met en avant ses « entreprises créatives » hi-tech, start-up truffées du sabir anglo-bizness, espaces de coworking, digital intelligence, creative factories, robotic day, workshops de medialab speedtraining et études benchmark chargées de « challenger les projets d’innovation ». À vos souhaits1.
Faute de capter les délocalisations des grands noms du CAC40, on se rabat sur les élites de province, chercheurs, investisseurs, jeunes pousses dites innovantes et autres start-up appuyées par des fonds de capital risque, dernière figure de la modernité. Des boîtes qui conçoivent des bidules d’un intérêt général évident. Des exemples ? Égide fabrique des casques de vélo en cuir, fibre de lin et kevlar à 249 euros pour les écolos fortunés. La société iAdvize, elle, est spécialisée dans le pistage des « visiteurs à valeur ajoutée » de sites web via « un moteur de ciblage comportemental ». Cerise sur le cookie bio, ses cadres sont formés au management galonné à l’école d’officiers de Saint Cyr-Coëtquidan.
Les édiles PS, qui gèrent la ville depuis 27 ans, continuent à soigner le volet séduction. L’aménagement d’un miroir d’eau devant le château des ducs de Bretagne apparaît au bilan de Johanna Rolland à la rubrique « Rayonnement métropolitain ». Comme ailleurs, l’attractivité est le maître mot de la stratégie. La métropole s’est dotée d’une agence de « marketing territorial » avec une « signature » à la noix : « Nantes just imagine ». Les cadres supérieurs sont choyés : un lycée international haut de gamme a ouvert en septembre 2014. Baptisé Nelson-Mandela, il est chargé d’« accueillir les enfants de personnels étrangers travaillant dans la région, mais également destiné aux enfants de Français appelés à une fréquente mobilité professionnelle à l’étranger ». Et si l’usine des parents est délocalisée en Pologne, ça marche ?
Une ville marchandise
L’espace public ? Il est souvent bradé aux multinationales, comme lorsque Coca Cola a installé fin août un podium pour faire danser les Nantais devant un écran géant. Dans la vraie vie, il s’agissait d’une campagne d’auto-réhabilitation, une tournée contre l’obésité prônant de se remuer mais sans diminuer sa consommation de soda.
L’environnement ? La BNP est mécène d’une expo d’artisanat de récup’ dont les vertus – « faire mieux avec moins » – sont célébrées par les élus, très branchés dans la com’ écolo. La mairie, où l’alliance entre verts et roses tient à un accord de coexistence pacifique sur Notre-Dame-des-Landes, a décroché en 2013 un label européen « Nantes green capital » qui a bien fait marrer les opposants au projet d’aéroport. Lequel projet est conçu comme une gigantesque galerie marchande2, comme le projet de la gare confié à l’architecte bling-bling Rudy Riccioti.
Enfin, une ville draguant les cadres supérieurs leur doit aussi la sécurité. En « co-construction », bien sûr, quand on est de gôche. La démocratie participative est passée par là. Dans les quartiers populaires, le software répressif s’appelle « Protocole pétition » et organise les voisins râleurs en plaignants collectifs dits « Habitants relais ». Et, en 2012, a été révélé le fichage des SDF du centre, avec antécédents judiciaires, psy, stups, picole, fréquentation des squats… Sur le pavé, la police municipale pratique le harcèlement de basse intensité. Un arrêté municipal prohibant la consommation d’alcool dans la rue, sauf aux terrasses de bars et lors de la fête de la musique, permet de mettre la pression sur les indésirables du trottoir. Incapables de la moindre co-construction de leur disparition, ceux-là !
Cet article a été publié dans
CQFD n°141 (mars 2016)
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Paru dans CQFD n°141 (mars 2016)
Dans la rubrique Le dossier
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Mis en ligne le 04.04.2018
Dans CQFD n°141 (mars 2016)
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