Une grève peut en cacher une autre

La révolte des sans-gants

Dans la métropole lyonnaise, un conflit de plusieurs semaines vient d’opposer les éboueurs à leurs patrons du public et du privé. Retour sur une grève en deux temps, qui éclaire sur les conséquences néfastes des délégations de service public.

En mars 2012, les éboueurs employés du public se sont mis en grève quand la Métropole a attribué le ramassage des ordures de Lyon et Villeurbanne à deux sociétés privées : Sita et Pizzorno. Les travailleurs craignaient pour leurs conditions de travail car, comme le souhaitait le maire Gérard Collomb, la délégation partielle de service public devait pousser la régie et le privé à « se challenger mutuellement ». Mais en fin de compte, cette redistribution a été plutôt profitable aux employés du public : les zones déléguées étaient les plus chargées et les plus pénibles.

En 2017, les éboueurs de la Métropole demandent de meilleures conditions de travail. Ils obtiennent deux samedis non travaillés sur trois. Mais pour compenser cela, la Métropole lâche encore plus de communes : Vaulx-en-Velin, Bron et Tassin-la-Demi-Lune. Dans l’agglomération, 57 % de la collecte sera effectuée par des entreprises privées, rémunérées au poids de déchets collectés. Le groupe Pizzorno obtient la plus grosse part du gâteau.

Pour augmenter leurs marges, les opérateurs lésinent sur les effectifs. Les éboueurs de Pizzorno doivent collecter jusqu’à 28 tonnes par jour, contre 10 pour les agents de la Métropole, six jours sur sept, avec un matériel défaillant, l’entreprise ne prenant pas même la peine de leur fournir des gants. Les cadences sont difficilement tenables, car les déchets augmentent, comme la population, tandis que les effectifs baissent : on passe de huit à quatre camions pour le 6e arrondissement. Les journées s’allongent : « On finit parfois à 17 h », confie un employé. Un ripeur (la personne à l’arrière du camion) touche moins de 1 200 € net par mois ; un chauffeur moins de 1 400 €. Et gare à ceux qui ne se laissent pas faire : pour son engagement, un délégué syndical, chauffeur, s’est retrouvé avec la mention « ripeur » sur sa fiche de paie, avec la baisse de salaire correspondante.

Les casseurs de grève mis en échec

C’est dans ce contexte que s’est déroulée entre mars et avril une grève en deux temps. Ce sont d’abord les employés de la Métropole qui se sont mis en grève le 19 mars. Le collectif comprenant éboueurs, chauffeurs et encadrants revendique une augmentation de salaire et une amélioration des conditions de leur éprouvant travail. Le 2 avril, alors que le conflit s’enlise, les salariés de Pizzorno rejoignent le mouvement. Soutenus par le syndicat Solidaires, ils réclament les mêmes conditions de travail et le même salaire que les employés du public. La Métropole saisit le tribunal pour faire débloquer les incinérateurs occupés par les grévistes. Finalement, le 5 avril, un accord est trouvé entre la Métropole et ses salariés, qui reprennent le travail. Mais Pizzorno refusant de négocier, ses éboueurs poursuivent la grève.

La répression anti-syndicale ne tarde pas : Pizzorno fait appel à la police pour déloger les grévistes et leurs soutiens, et un huissier est mandaté régulièrement sur le piquet de grève. Au mépris du droit de grève, Pizzorno envoie des intérimaires ou fait appel à ses salariés d’autres villes. Le 11 avril, les éboueurs sollicitent le soutien de David Kimelfed, président de la Métropole (LREM). Cette dernière menace Pizzorno de sanctions si une solution n’est pas trouvée rapidement. Plutôt que de s’asseoir à la table des négociations, l’entreprise assigne une dizaine de grévistes devant le tribunal de grande instance. Le 18 avril, le tribunal donne raison aux grévistes et Pizzorno est débouté. Dégoûté aussi sans doute : il va bien falloir négocier.

Le soir même, les représentants des grévistes annoncent qu’un accord a été trouvé et que la reprise du travail est imminente. L’augmentation de salaire obtenue n’est pas à la hauteur des revendications (65 € brut au lieu de 300), mais des améliorations notables ont été obtenues sur les conditions de travail (notamment des gants de même qualité que ceux de la Métropole), ainsi que six jours de grève payés. Pizzorno a fait préciser dans le protocole d’accord que ces mesures ne concernent que ses employés de la région lyonnaise. Par peur de la contagion.

Marie Causse
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