La fabrique du chaos

Encadré de « Déambulation dans l’Égypte – post ? – révolutionnaire ».

Passées les pyramides de Gizeh, la cité du Six-Octobre semble surgir du désert. Dans cette ville satellitaire du Caire, le 25 octobre dernier, des hommes organisés et armés se sont emparés de plus de 1 800 appartements vides et s’y sont installés avec leurs familles. Pour les médias, ces hommes sont forcément des baltageya. Intoxication médiatique ? S’agit-il là de gens décidés à régler par eux-mêmes la question de leur logement ou de ces hommes devenus célèbres, au-delà des frontières égyptiennes, le 2 février, lorsque la chaîne al-Jazira a retransmis en direct ceux qui ont violemment attaqué les occupants de la place Tahrir ?

Mais qui sont ces baltageya ?

Le mot désigne, en dialecte égyptien, les voyous, et particulièrement ceux utilisés par le pouvoir. Ils seraient plus de 160 000, principalement venus des quartiers les plus démunis. Sous Moubarak, les baltageya, piliers de la répression, intimidaient et agressaient les opposants, contrôlaient les foules ou agissaient comme agents provocateurs. De hauts-dirigeants du PND s’offraient aussi leurs services lors des élections afin d’intimider candidats de l’opposition et électeurs. Le phénomène s’est largement répandu dans les dictatures arabes : ils prennent le nom de baltajia en Algérie, au Maroc et à Bahrein et de chabiha en Syrie.

Dans la stratégie de terreur pratiquée par le régime égyptien contre la Révolution, les baltageya jouent un rôle primordial. L’ouverture des prisons a servi à renforcer le sentiment que le pays tombait dans le chaos : une rumeur persistante affirme que c’est le gouvernement lui-même qui a laissé fuir des criminels. Fait visiblement rare, dans au moins un cas, celui de la prison de haute sécurité d’Abu Za’abal, des journalistes présents ainsi que des prisonniers palestiniens qui se sont enfuis par les tunnels de Gaza confirment qu’une révolte a permis la libération des détenus…

Mais aussi, le concept de baltageya sert à discréditer nombres de protestataires qui, sous cette définition, deviennent des casseurs et, plus généralement, des éléments antisociaux. En mars dernier, le CSFA a décrété une loi anti-baltageya qui menace les manifestants arrêtés de peines allant d’un an de prison à la peine de mort. Lors de la deuxième occupation de Tahrir en juillet, des révolutionnaires portaient ironiquement des pancartes avec le slogan « je suis un baltagi, et j’en suis fier. » Une personne a été arrêtée et condamnée à ce titre… Criminaliser l’opposition, jouer la carte de l’instabilité pour justifier sa présence : le CSFA utilise les mêmes techniques de répression que Moubarak, avec, encore et toujours, les baltageya comme milice para-policière.

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