Résister et rebondir

La Zad, tel le Phœnix

Rien n’abat la Zad. Depuis 2012, malgré les destructions à la pelleteuse et l’envoi de milliers d’uniformes, elle renaît façon Phœnix et reconstruit sur les décombres. Le fruit d’une résistance bien rodée et d’une énergie sans faille.
Photo Lise Lacombe

« Cabane ! » Dans les jeux de mômes, c’est toujours le bon moyen de se protéger, de sortir du jeu. Le mot magique, et hop, à l’abri. Mais en ce mois d’avril, la Zad n’a rien d’une cour de récré. Et les bataillons casqués de l’État ne jouent pas. Dans leur collimateur, les cabanes. Les voilà promues ennemies publiques numéro un et condamnées à une destruction sauvage. Ce qu’un huissier hautain, commis sous haute protection sur ce théâtre d’opération guerrière, appelle « déconstruction » – drôle d’euphémisme.

Mais voilà. Ce n’est pas assez visible. Les destructions en cours sont souvent occultées par les nuages de gaz, le public éloigné à coups de grenades et les journalistes interdits d’accès. Pour seuls témoins, les gendarmes. Eux se chargent désormais de filmer les opérations, avant d’en proposer aux médias les « meilleurs moments ». Sur ces images, on ne les voit pas couper l’électricité, squeezer l’alimentation en eau ou crever rageusement au couteau des dizaines de packs de jus de pommes. Ce sale boulot d’affaiblissement de l’ennemi manque par trop de panache pour être diffusé. Pour démontrer la force implacable de leur mission, ils préfèrent les images spectaculaires. Comme la destruction des bâtisses démunies de permis de construire, donc frappées du sceau de l’illégalité : voilà qui a plus de gueule. Ça fait du bruit, de la poussière. Ça impressionne.

Les uniformes s’y entendent en propagande – la guerre des images comme continuation de la guerre tout court. Pour parfaite illustration, cette vidéo montrant un blindé de la gendarmerie qui ratiboise les décombres d’une maison collective. Il s’agit du lieu-dit Le Gourbi, où se partageaient chaque vendredi le pain et les légumes produits sur la Zad. Son dôme a été détruit quelques heures plus tôt et les zadistes viennent en urgence de ramener une nouvelle charpente. Las, c’est à elle que s’en prend le blindé.

L’opération est filmée d’un hélicoptère. Les images du mouchard à hélice sont mal fichues, truffées de données chiffrées. Mais on y voit le blindé bleu au nez camus foncer dans le tas, s’y reprenant à deux fois pour terrasser le bel assemblage de trois tonnes de poutres, poinçons et sablières, amené la veille à la lueur des frontales, après le départ des pandores à la nuit tombée. De la belle œuvre préparée en kit, en quelques jours, par une escouade de charpentiers et charpentières enthousiastes. Mais réduite en miettes en quelques minutes, le temps de cette vidéo qui se termine en affichant le logo des pandores, surmonté d’une fringante devise – « Gendarmerie nationale, une force humaine ».

S’en fout la mortaise

Mais cette charpente, même brisée, vaut symbole. Elle dit la belle obstination des zadistes à toujours revenir et reconstruire. À ne rien lâcher face à l’acharnement autoritaire et punitif de Macron et son monde. Les opposants savent que la force brute et la crispation armée n’ont qu’un temps – il faudra bien que les troupes se retirent un jour.

D’ailleurs, une fois leur sale besogne effectuée, les fâcheux en uniforme laissent au bord de la route des Fosses Noires un tas de poutres mal rangées, se contentant de les tronçonner pour empêcher toute reconstruction. Raté. Vingt minutes après le départ des uniformes, l’escouade charpentière que rien n’abat est revenue. La même renforce deux fermes partiellement détruites, les étayant grâce aux bouts de poutre tronçonnés. un beau pied de nez à toute cette « force humaine  » destructrice.

C’est que les zadistes sont comme les toons des dessins animés. On les croit ratatinés par le rouleau compresseur, raplaplas, écrabouillés. Et plop, les voilà qui se regonflent et reprennent vie.

La chaîne de poutres

Depuis la première opération militaire contre la Zad, le mouvement n’a cessé de développer sa capacité de (re)construction. Grâce à des compétences acquises collectivement. Et au soutien d’un réseau élargi de bâtisseurs, prêts à intervenir en cas de coup dur. Le 17 novembre 2012, trois semaines après le début de l’opération César, la manif de réoccupation avait ainsi surpris par son ampleur et son dynamisme, rameutant 40 000 personnes en plein hiver. Dont beaucoup avaient aidé au déchargement de remorques agricoles croulant sous les poutres et charpentes des nouvelles cabanes. Dans la boue, une longue chaîne humaine s’était formée pour acheminer de main en main les bastaings jusqu’à la clairière de châtaigniers, lieu d’implantation des bâtisses. C’était beau. L’un de ces moments euphoriques où on se dit que rien ne peut terrasser un mouvement si tenace.

À l’image de ces barricades d’avril barrant les chemins, que les engins des gendarmes mettent à bas et qui reprennent forme insurgée dès les uniformes envolés. Ou de ces tranchées creusées à même le bitume pour empêcher le passage des blindés gendarmesques – à peine sont-elles comblées que de nouvelles s’ouvrent, béantes, juste à côté. À chaque fois, une même force acharnée et collective. une énergie increvable, sans doute largement nourrie par l’influence d’une culture squat habituée aux expulsions.

Squat qu’il en soit

« Beaucoup de zadistes sont en effet passés par les squats, confirme Max. Et ils savent qu’on se remet de la perte d’une maison occupée – l’important est de rebondir au plus vite.  » Vivre en squat est par essence une situation précaire et éphémère. Mais le risque de tout perdre signifie aussi la possibilité de retrouver un autre lieu de vie, parfois plus confortable. Et implique de ne pas attacher trop d’importance aux possessions matérielles, détaille Jean-Jo : « Dans ma cabane, il n’y a rien qui ne soit remplaçable. La seule chose réellement précieuse est l’ordinateur – j’ai mis le disque dur à l’abri. En vivant ainsi, tu te rends compte que l’important n’est pas le matériel ou la cabane elle-même, mais les pratiques qui les ont fait naître. À l’exemple du Hangar de l’avenir : il est beau, certes, mais pas autant que les processus collectifs ayant permis sa construction. »

Mais cet autre habitant de la Zad insiste surtout sur l’importance de l’énergie collective : «  Elle avait assuré le succès de la manif de réoccupation en 2012. Elle nous permet de tenir bon aujourd’hui et de rebâtir dans la zone non motorisée à peine deux semaines après les premières destructions d’avril. » une efficacité qui doit aussi beaucoup au développement des ressources autonomes de la Zad. Au soutien de charpentiers implantés dans les alentours. Et à Abracadabois, organisation collective de coupe des haies et d’entretien de la forêt, fournissant en circuit court le bois d’œuvre pour les planchers et charpentes. Dont ces belles billes de bois, extraites à l’ancienne, avec un cheval de trait, par des bûcherons travaillant en forêt de Rohanne : les voilà disponibles pour de futures constructions.

Résolus à tout recommencer

Autour d’une table brinquebalante au lieu dit Le Maquis, la discussion court sur les gecedonku turcs, des bidonvilles installés illégalement en une nuit, la loi ne s’appliquant pas entre le coucher du soleil et le matin. Ces auto-constructions forment des quartiers entiers, qui témoignent de la combativité d’habitants n’ayant plus rien à perdre, sauf leur logis du jour.

Dans son roman Contes de la montagne d’ordures, Latife Tekin raconte que l’un de ces gecedonku a été 37 fois détruit par les autorités et remonté opiniâtrement pendant 37 nuits suivantes. Jusqu’à ce que les bulldozers et les officiels lâchent l’affaire. Belle victoire littéraire de la ténacité et de la taule de fortune.

De son côté, le situationniste historique Raoul Vaneigem vient de rendre un joli hommage à ce que représente la Zad 1. Toujours aussi printanier, l’auteur du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations pose joliment l’enjeu de la lutte en cours : «  c’est un pari sur le monde qui se joue à Notre-Dame-des-Landes. Ou la tristesse hargneuse des résignés et de leurs maîtres, aussi piteux, l’emportera par inertie ; ou le souffle toujours renaissant de nos aspirations humaines balaiera la barbarie. Quelle que soit l’issue, nous savons que le parti pris de la vie renaît toujours de ses cendres. La conscience humaine s’ensommeille mais ne s’endort jamais. Nous sommes résolus de tout recommencer. » Viva la résolution !

Nicolas de la Casinière

1 Avec « Terre libre », vidéo disponible sur YouTube – chant par Fanchon Daemers, textes par Raoul Vaneigem.

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