En 2001, la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette, à Paris, proposait une exposition sur « le cheveu », en partenariat avec L’Oréal. Une collaboration particulière, puisque cet évènement avait été initié par le groupe de cosmétique lui-même ! Dix ans plus tard, en ce début d’année, une expo similaire s’affiche au Palais de la découverte [1], avec le même « partenaire ».
Sponsoriser une manifestation à vocation culturelle est une chose, mais l’organiser ou la superviser en est une autre. Cette belle réussite de partenariat « public-privé » est l’œuvre de la Fondation Villette-Entreprise – présidée par Louis Gallois, l’actuel patron d’EADS, marchand de canons et membre fondateur, avec une dizaine de poids lourds du CAC 40, de la structure [2]. Si les scientifiques disent garder la main sur le contenu des savoirs – « Nous avons le final cut », fanfaronne l’un des commissaires de la Villette –, le public n’est jamais clairement informé du degré d’intervention de chaque « partenaire ».
Comment ne pas tiquer, par exemple, quand l’expo permanente « Énergies » de la Villette affiche comme sponsors de luxe Total et Areva ? D’ailleurs,
un quizz interactif sur l’énergie nucléaire, au chapitre « accidents », n’évoque pas la catastrophe de Fukushima de mars 2011. Certes, l’expo a été inaugurée en juin 2010, et, pour marquer le coup, la Cité a bricolé une expo temporaire consacrée à « l’incident [sic] nucléaire de Fukushima » – « À l’époque, plaide le service de presse, il n’était pas encore question d’accident grave ». Mais l’espace a été démonté en novembre dernier, et l’expo permanente n’a toujours pas été mise à jour. Ce sera fait, promis juré, « courant 2012 »…
Alain Coine, responsable des affaires économiques de la Fondation, reconnaît que les entreprises ne sont pas de « simples mécènes, comme au Louvre, qui signent un chèque et laissent faire ». Mais leur « contribution est limitée, insiste-t-il. Au sein du comité scientifique de chaque exposition, les salariés des partenaires assistent aux réunions, peuvent s’exprimer, mais n’ont pas de “droit de vote”. Nous maîtrisons la ligne éditoriale. » Cela n’empêche pas certaines « tensions épouvantables », la formulation des énoncés, forcément synthétiques, se jouant « à la virgule près ». Les scientifiques, toutefois, sont contraints de faire des compromis, puisqu’il serait malvenu de froisser un partenaire dont dépend plus de la moitié du financement de l’opération ! Dans le cas de l’expo « Énergies », les mastodontes du nucléaire et du pétrole ont mis sur la table 2 des 3,5 millions d’euros de budget.
En 2006, c’est « Le corps identité », véritable promo à cœur ouvert de la biométrie, qui vaudra à la Cité d’être occupée un après-midi par une nuée de militants. L’expo était « co-organisée » par Sagem défense sécurité, qui cherchait à être « mieux acceptée » par le jeune public [3]. « Euh… Nous n’avons pas reproduit ce type de partenariat », admet Alain Coine, visiblement gêné. L’ambiguïté demeure dans « Tous connectés », encore à l’affiche début 2012 : sous couvert de vulgarisation du « monde numérique », on y vante les mérites des nanotechnologies. Et notamment le projet Nanoyou, de la Commission européenne, visant à « renforcer les connaissances des jeunes en matière de nanotechnologies et à favoriser le débat sur les aspects éthiques, juridiques et sociaux liés à ces technologies ». L’on apprend sans surprise que cette publicité grandeur nature a été préparée par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Grenoble, où est érigé le centre Minatec, « campus d’innovation en micro et nanotechnologies ».
De fait, ces expos sont le plus souvent prétextes à promouvoir des secteurs industriels. La pertinence scientifique « Des transports et des hommes » (La Cité) n’est pas avérée, mais les sponsors – Air France, PSA, Renault, RATP et SNCF – y redorent leur image. Au Palais de la découverte, c’est l’industrie de la chimie qui s’est invitée pendant six mois pour répondre à la question : « Vous avez dit chimie ? ». Les mécènes ? Vous aviez deviné : le CEA (membre fondateur de la Fondation) et l’Union des industries chimiques, le lobby officiel de la branche. Les exemples sont légion : « Le Train se découvre » (2002, SNCF), « Le Génie du pneu » (1999, Michelin), ou encore « Pétrole, nouveaux défis » (2004, Total). À quand « Les secrets du médicament », avec les laboratoires Servier, mis en examen dans le scandale du Mediator, l’antidiabétique responsable de cinq cents morts ? Le labo maudit est, lui aussi, membre du club des amis de la Villette…