Je reviens de l’usine

Jeudi 8 octobre (2015), journée nationale d’action interprofessionnelle et intersyndicale. Au Havre, ce matin, le port et la ville sont complètement bloqués par les manifestants.

A midi, on se retrouve devant le site de Sidel, sur les hauteurs de la ville, à Octeville-sur-Mer. On est plus de 2 000. Un rassemblement pour protester mais aussi pour montrer notre solidarité aux salariés de Sidel qui viennent d’apprendre la suppression de 289 emplois (sur 1 000) par la direction. L’ambiance est joyeuse, combative et enthousiaste. Je ne sais pas si c’est parce qu’on est au Havre, mais on se croirait à un concert rock. Les prises de paroles multiples et variées ont la pêche. Reynald, secrétaire du syndicat CGT de la boîte, au crâne rasé, sait faire passer son ardeur aussi bien aux intervenants qu’à la foule. La sono distille des titres de Nirvana et d’autres groupes énervés, on vend des T-shirts de soutien à tour de bras et un grapheur, « Mascarade », tague des appels à boycotter les produits Tetra Pak, autre filiale du groupe détenant la Sidel. On aimerait que tous les conflits aient cette énergie. Deux jours plus tard, un autre rassemblement pour l’emploi rameute presque autant de manifestants dans les rues du port normand. Les salariés de Sidel semblent ne pas vouloir baisser les bras. Pourvu que ça dure.

Le 19 octobre, je retourne voir Reynald dans le local syndical. Faut qu’on cause. Sidel, quésaco ? « L’usine Sidel a été construite au Havre en 1961. Il s’agissait de construire des machines d’extrusion du PVC pour contenir l’huile Lesieur1. En 1990, un nouveau site est monté à Octeville et celui du Havre ferme lors d’une première restructuration en 2004. C’est Tetra Laval (groupe suédois dont le PDG, Ruben Rausing, était, avant sa mort en 1983, la 21 e fortune mondiale) qui a racheté Sidel. Tetra Laval intervient dans les emballages carton (Tetra Pak), l’industrie laitière (trayeuses) et les bouteilles plastiques (Sidel). »

Sur un des premiers tracts de l’intersyndicale on peut lire « Rares sont les familles du bassin d’emplois havrais dont aucun membre n’a été acteur direct ou indirect de cette réussite collective. » C’est sans doute pour ça que ce conflit est très populaire.

Reynald reprend  : « Le 2 septembre dernier, lors d’un CE européen de Tetra Laval, le “board”, la direction générale, a annoncé 715 suppressions de postes chez Sidel, dont 289 à Octeville, ainsi que la délocalisation de certaines productions sur le site de Parme, en Italie. Alors que tous ces dirigeants disaient aux représentants du personnel depuis le mois de mai qu’aucun plan social n’était à l’étude. Des menteurs  ! » Les salariés étant relativement jeunes et motivés, la riposte a été rapide. Chaque réunion hebdomadaire compte au moins 600 personnes.

D.R.

Pour répondre aux menaces de licenciements et médiatiser la lutte, des opérations coup de poing dans les hypermarchés de la région sont lancées en parallèle de la campagne de boycott des produits Tetra Pak. Là, à chaque fois, ce sont 300 manifestants qui vident les rayons de lait, soda et jus de fruit des Auchan, Leclerc, Hyper U. Des tracts sont également distribués à chaque manifestation culturelle ou sportive (la transat Jacques Vabre, dernièrement).

Pratiques habituelles lors des annonces de suppression d’emplois, les Sidel interpellent les politiques (Fabius…) et, contournant la loi Macron sur la gestion des plans sociaux, l’intersyndicale saisit la justice et gagne en référé. Le plan social restera suspendu tant que la direction générale n’aura pas présenté sa stratégie économique. Ce qui permet, pour le moins, de gagner du temps. La direction ne pourra pas parler de licenciements avant janvier prochain.

Ce qui permet aussi de peaufiner des propositions alternatives qui permettraient de sauver les emplois et, peut-être même de faire gagner plus de fric à l’entreprise. Rien n’est fini, évidemment, d’autres actions sont programmées pour les semaines qui viennent, mais la direction a déjà prévu trente (!) réunions dans les deux prochains mois pour occuper et éloigner les délégués de leur base.

Quoi qu’il en soit, un concert de soutien a lieu le 10 novembre, salle de la Pointe de Caux à Gonfreville-l’Orcher, avec 6 groupes rock du cru, dont les Red Lezards. La lutte, mais la fête aussi.


1 Sidel  : Société industrielle des emballages Lesieur – devenu « Légers », après la vente de la boîte.

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