Cap sur l’utopie

Des phalanstères à la noix de coco séchée

Pour un nouveau monde – Les utopistes bretons au XIXe siècle de Jean-Yves Guengant (éd. Apogée) nous documente pointilleusement sur les tentatives de synthèse expérimentales entre le monde de la paysannerie traditionnelle échappant à toute mainmise étatique et celui des coopératives agricoles « fraternelles » pionnières des années 1830-1880. Aux croisées du christianisme social (pouah !) et du combat libertaire pour un nouvel ordre sociétaire « dont le socle serait le travail attrayant » et le refus des servitudes, le mouvement des socialistes romantiques brestois d’avant la Belle Époque est décrit et analysé ici dans les détails. Un mouvement impétueusement philanthrope dont les fers de lance seront l’écrivain saint-simonien Émile Souvestre aux romans (tel Riche et pauvre) emportés par la lutte des classes (« Que le peuple cesse d’écouter et de répéter pour regarder par lui-même et chercher. ») Et Charles Pellerin, le fil conducteur de la saga de Guengant, qui deviendra le premier biographe de Charles Fourier (1838) et qui se défoncera jusqu’à son dernier soupir (en 1883) pour la réalisation immédiate du fouriérisme. Un fouriérisme tout à fait light s’entend à l’image de celui que préconiseront trouillardement absolument tous les disciples du génial utopiste après avoir procédé à un triage chafouin de ses idées. En 1832, dans le canard Le Phalanstère, Pellerin dépeint « la variété des tâches » qui peut rendre le travail attrayant en Basse-Bretagne, faisant par exemple découvrir à ses lecteurs le battage au fléau, un travail collectif où deux groupes en file rivalisent de force et de rapidité. Il se fait plus tard le preux chevalier du « garantisme », soit l’extension continue des dispositifs de garantie pour chacun (assurances, coopératives, sociétés de secours mutuel, rentes phalanstériennes). Il accuse l’Église catholique d’être l’ennemie de toutes les formes de liberté. Et, lui-même toubib, recense les maux qu’une médecine harmonienne devrait terrasser : les habitations insalubres, le défaut d’exercices corporels, la malnutrition, certes, mais aussi « l’abstinence forcée de plaisirs ». Et bientôt, sous son impulsion notamment, des essais de créations de communes modèles sont dans l’air. « Cette commune modèle, s’écrie l’agitateur fouriériste Jean Czynski dans L’Avenir des ouvriers (1839), organisez-la selon la loi d’association. Associez cent familles de fortunes inégales, de caractères opposés, de tous âges, avec des penchants et des goûts différents ; exploitez une lieue carrée de terre comme si elle appartenait à un seul homme et bientôt, par la loi d’attraction, par le jeu des groupes et séries, vous y verrez régner l’abondance, la paix, l’amour, l’enthousiasme et l’harmonie. »

Le lexique fouriériste assez bien foutu quoiqu’un peu spartiate lui aussi qui couronne ce traité d’histoire régionale nous ramène par moments au vrai de vrai enivrant magicien Fourier. Pour qui l’attraction passionnée, c’est une impulsion « en vertu de laquelle on aime, désire, choisit, et par conséquent veut et agit librement ». Et pour qui l’éducation, c’est « l’école d’éclosion des instincts ». Mais le mieux à faire, c’est sans nul doute de ne pas se contenter de croustillantes miettes, et de s’offrir coûte que coûte (je le hurle sans cesse à la lune) le plus épastrouillant lilivre jamais frigoussé : Le Nouveau Monde amoureux de Charles Fourier réédité par les Presses du réel et par Stock.

Noël Godin
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