Cap sur l’utopie

Des éviers de cuisine aux chaînes de montage

À emporter dans nos besaces d’escapades estivales, quelques livres vadrouillant trop peu dans les librairies et qui visent à réimaginer jouissivement le monde.

Le Refus du travail – Théorie et pratique de la résistance au travail de David Frayne (éd. du Détour). Le sociologue Frayne a beau jeu de démontrer qu’il y a mieux que jamais lieu d’entrer en guérilla contre « le pouvoir colonisateur du travail ». À l’image de la révolte contre le boulot des punks et des slackers (littéralement « fainéants ») qui, au Royaume-Uni, excluaient absolument d’accomplir leur service militaire obligatoire. Et celle des piliers de comptoir et des clochards célestes célébrés par Tom Waits, Bob Dylan, Jack Kerouac. Ou celle des agitatrices Mariarosa Dalla Costa et Selma James qui, dans les années 1970, poussèrent les femmes à dégommer le mythe de la libération par le travail : « On ne se libère pas des chaînes qui nous attachent à l’évier de cuisine en devenant esclave sur une chaîne de montage. »

Autre pourfendeur du turbin : le satiriste cravachant Jossot. Dans l’opuscule très poilant Le Fœtus récalcitrant des éditions Finitude, on peut trouver son bienfaisant Évangile de la paresse fricassé en 1938. « En glorifiant devant toi le travail comme “la sainte loi du monde” ; en affirmant qu’il ennoblit l’homme et qu’il assure son indépendance, on t’a menti : le travail est une abomination de la civilisation ; c’est l’esclavage, c’est une insulte à la vie. »

Au cœur du rêve de Rubén Uceda (Éditions libertaires / Noir & Rouge). Une bédé galvanisante reconstituant balèzement le remue-ménage anarchiste en Espagne durant l’été et l’automne 1936 : abrogation de la hiérarchie, de l’argent, du commerce, des privilèges. Mainmise sur les stocks des grands marchés et des entrepôts clés. Réquisition des salles de ciné et des églises reconverties en cantines populaires et en écoles maternelles. Généralisation du troc sauvage. Collectivisation des grandes exploitations, des centrales textiles, pétrolières, métallurgiques, des services publics de gaz et d’électricité, des transports routiers, ferroviaires, maritimes. Autogestion à pleines voiles. Pillages de certaines résidences de rupins. Création d’universités populaires, de cliniques d’urgence et d’écoles d’infirmières dans les couvents. Destruction des archives de tribunaux et d’études de notaire. Distribution de livres « subversifs » saisis. Fiestas grandioses. Ouverture des prisons. Cours d’épanouissement sexuel orchestrés par les « mujeres libres ». Amputation de statues religieuses. Baignades nudistes… Un joli programme assurément pour les Drouet et les Jadot de demain.

Un joli programme que Raoul Vaneigem propose aux assemblées de démocratie directe de concrétiser ludiquement dans son brûlot Pourquoi je ne vote pas et autres inédits (éd. Cactus inébranlable). « Comment organiser une production locale destinée à la consommation de collectivités locales et fédérées afin d’échapper à la gabegie du marché et d’assurer peu à peu une gratuité des biens de survie qui rendent l’argent obsolète ? Ne parlez pas d’utopie ! C’est ce qu’ont réalisé en 1936 les collectivités libertaires de Catalogne et d’Aragon avant d’être écrasées par les communistes. »

Noël Godin
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