Le théoricien

Bookchin et le RIC

Trois lettres magiques et la démocratie directe fleurira : RIC (référendum d’initiative citoyenne). L’idée n’est pas nouvelle. Elle n’est pas non plus le monopole d’Étienne Chouard et ses émules, contrairement à ce que dit François Ruffin.
Par Baptiste Alchourroun

« L’idée selon laquelle le peuple, quand il s’exprime, fait le choix le plus réactionnaire ne tient pas », affirmait le politologue Dimitri Courant sur France Inter le 10 février. Et d’illustrer ainsi son propos : la Suisse a aboli la peine de mort, par référendum, bien avant la France. Dans la très catholique Irlande, mariage pour tous et droit à l’avortement ont été validés par référendum en 2015 et 2018, sans provoquer de guerre civile. Ajoutons qu’en Colombie, les RIC à l’échelle municipale ont réussi à freiner la politique extractiviste1.

En Californie, ce sont des initiatives populaires qui ont permis de légaliser la marijuana. Cependant, comme l’observe Le Monde, « alors que l’introduction des consultations directes avait été l’une des grandes réformes de l’ère progressiste des années 1900-1920, le système finit par être l’apanage des riches et des lobbys 2 ». Lors de la consultation sur Notre-Dame-des-Landes, les zadistes avaient senti une entourloupe sur le périmètre du vote et appelé au boycott. Les partisans de l’aéroport, arrivés en tête de peu, dénoncèrent un déni de démocratie après l’abandon du projet par Macron.

Dès lors, comment éviter l’hystérisation de positions clivantes et la tyrannie de la majorité ? Murray Bookchin3 dans un recueil de textes paru le 15 mars4, offre quelques pistes d’analyse dans un cadre communaliste : sortir d’abord de l’atomisation et de l’infantilisation des démocraties libérales.

« Voter lors d’un référendum dans l’intimité de “l’isoloir”, ou dans la solitude électronique de sa propre maison, privatise la démocratie et ainsi la mine. Le vote, de même que les sondages d’opinion sur les préférences en matière de savons et de détergents, représente une quantification radicale de la citoyenneté, de la politique, et de l’individualité, et une caricature du processus véritable de la formation des idées qui résulte de l’échange d’informations. Le vote est l’expression préformulée d’un “pourcentage” de nos perceptions et de nos valeurs et non leur expression entière. C’est une technique d’avilissement des opinions en simples préférences, des idéaux en simples goûts, de la compréhension synthétique en pure quantification, de façon à pouvoir réduire les aspirations et les convictions des hommes à des chiffres. »

« En fin de compte, “l’individu autonome”, privé de tout contexte communautaire, de rapports de solidarité et de relations organiques, se retrouve privé du processus de formation de soi – paideia – que les Athéniens de l’Antiquité assignaient à la politique comme l’une de ses plus importantes fonctions pédagogiques. […] Si l’autorité idéologique du pouvoir d’État et de l’art de gouverner repose sur la conviction que le “citoyen” est un être incompétent, quelquefois infantile et généralement peu digne de confiance, la conception municipaliste de la citoyenneté repose sur la conviction exactement contraire. Chaque citoyen serait considéré comme compétent pour participer directement aux “affaires publiques” et surtout, ce qui est le plus important, il ou elle devrait être encouragé à le faire. »

M. L.

1 « En Colombie, les référendums d’initiative citoyenne stoppent les mines », sur Reporterre (15/01/2019).

2 « Référendums d’initiative citoyenne : l’exemple californien », Le Monde (13/02/2019).

3 Lire « Les deux come-backs de Murray Bookchin », article qui revient sur la vie et l’œuvre de ce penseur libertaire américain, paru dans CQFD n°174, mars 2019.

4 Pouvoir de détruire, pouvoir de créer – Vers une écologie sociale et libertaire, L’Échappée.

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Paru dans CQFD n°174 (mars 2019)
Dans la rubrique Le dossier

Par Mathieu Léonard
Illustré par Baptiste Alchourroun

Mis en ligne le 26.04.2019