Médias

A deux clicks de la paix dans le monde

Sur le site petitionpublique.fr, on apprend que la pétition est « l’une des plus anciennes méthodes de la démocratie ». Servi par l’industrie numérique, le citoyen du monde peut désormais « agir sur le monde » sans sortir de chez lui. Vertige de l’amour virtuel…

En arrivant sur le site lapetition.be, vous aurez le choix entre apporter votre signature pour sauver la crèche « Au Jardin de Kassiopée », vous opposer à la libération de Marc Dutroux ou à l’implantation d’un abattoir rituel à Guéret (Creuse). Les Pussy Riot, bientôt citoyennes d’honneur de la ville de Paris ? Rien de plus facile, la pétition est mise en ligne par la plate-forme change.org. De son côté, le site Avaaz – présenté comme « mouvement mondial en ligne qui donne aux citoyens les moyens de peser sur les prises de décision partout dans le monde » – nous informe en temps réel du nombre de personnes ayant signé pour un moratoire sur les pesticides tueurs d’abeilles : en 36 heures, 2 428 444 personnes ont déjà répondu présent.

Fini ces militants qui vous harcèlent avec leur argumentaire poussif et leur papelard tout froissé : la pétition en ligne vous épargnera tout contact avec ces gouailleurs d’un autre âge. Simple, rapide, gratuite, il ne vous faudra que quelques clics de souris pour valider votre engagement politique auprès des causes les plus nobles et les plus exotiques… les fesses bien carrées dans un fauteuil. Boosté par le succès invasif des réseaux sociaux, ce nouveau militantisme est porté par des plate-formes web aux appétits planétaires exponentiels. Créé en 2007 et présent sur quatre continents, le site américain change.org se vantait il y a peu de conquérir deux millions de nouveaux pétitionnaires par mois, tandis qu’Avaaz, disséminé sur dix-huit pays, estime ses capacités mobilisatrices à 17 millions de personnes.

Du clicktivisme au slacktivisme (activisme mou), les néologismes ont fleuri pour qualifier l’attitude de ces anonymes atteints de pétitionnite aigüe. Outre le brouillage politique induit par ces empilements non hiérarchisés de causes à soutenir, les quelques sites spécialisés dans la pétition numérique interrogent sur cette forme de militantisme qui a plus à voir avec la brève indignation émotionnelle qu’avec l’engagement au long cours. En filigrane, on retrouve le portrait de l’internaute isolé physiquement mais en symbiose avec une communauté virtuelle qui se définit avant tout par la portée performative et comptable de ses actes. En février 2012, change.org acquérait sa renommée en recueillant 2,5 millions de signatures lors d’une campagne liée à l’assassinat du jeune Noir Trayvon Martin, en Floride. « Le problème, c’est que ce modèle d’activisme épouse aveuglément l’idéologie du marché. Il fait naître l’idée que des recherches en marketing utilisées pour vendre du papier toilette peuvent également générer des mouvements sociaux », estime Micah White, un des initiateurs d’Occupy Wall Street.

Pis encore, certaines critiques pointent du doigt le business florissant du clicktivisme. Appel à dons, partenariats avec le monde économique, lobbying politique, le terreau dans lequel ces plate-formes ont plongé leurs racines rappelle que la bonne conscience des uns peut faire la fortune des autres. Auteur d’une étude sur Avaaz, Dominique Guillet, membre de l’association Kokopelli1, notait : « Car affirmons-le haut et fort, les cadres chez Avaaz ne sont pas rémunérés avec des cacahuètes virtuelles : le fondateur et directeur exécutif, Ricken Patel, a ainsi touché, en 2010, la modeste somme salariale de 183 264 dollars […] tandis que le directeur de campagne, Ben Wikler, a touché 111 384 dollars de salaire. Cette même année 2010, Avaaz a déclaré sur sa feuille de revenu : 921 592 dollars de “frais de campagnes et de consultance”. Tout cela pue l’arnaque financière et le copinage archi-dollarisé.2 » Refroidi par l’expérience, un ancien bénévole d’Avaaz témoignait de son côté : « C’est une mentalité à l’américaine : c’est-à-dire une vision de réussite et où on voit le monde comme génial, sensass, cool, géant. […]. Les textes sont très polis, sans polémique ni critique trop sévère, pour avoir un maximum de signatures et ne pas froisser les politiques – je n’ai pas vu de campagnes anticapitalistes ou contre une entreprise. » Une issue de secours, peut-être : le site petitionpublique.fr propose une pétition pour « l’abolition définitive du moyen d’expression barbare et stupide que représente une pétition ». À ce jour, seulement deux personnes ont signé. À vos claviers !


1 Association militant pour le droit aux semences libres.

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1 commentaire
  • 30 avril 2013, 20:22, par emmanuelle Fabre

    LES Pétitions seraient -elles donc inutiles ? A contrario chez les policiers ,pourtant, par exemple ; des aveux signés qu’ils soient vrais ou pas... une signature, ça compte.

    • 6 mars 2014, 17:20, par LN66

      Oui une signature ça compte il suffit de voir les libérations obtenues par Amnesty International.

      Oui les pétitions sont efficaces. La pression citoyenne dérange les pouvoirs et il arrive (pas toujours) que les pétitions aient un résultat positif.

      Il s’agit juste de savoir qui sont les gens chez qui on signe et de ne pas être dupe

    • 6 mars 2014, 19:27, par Gol

      Amnesty est une officine du ministère des affaires étrangères états-unien, financé par l’Open Society, et en tant que telle n’a pas tellement besoin de signatures de pékin comme toi pour se faire reconnaître par les récalcitrants. A bon entendeur !

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