Une terre d’accueil

Venezuela non grata

Le samedi 18 août, dans la petite ville frontalière de Paracaima, au nord du Brésil, des dizaines d’habitants ont attaqué, bastonné et brûlé un campement de réfugiés vénézuéliens, après l’agression d’un commerçant local imputée à ces derniers...
La couverture du n°168 de « CQFD », illustrée par Vincent Croguennec.

Cette poussée de fièvre xénophobe a contraint 1 200 migrants à quitter le territoire brésilien. Au moins 93 Vénézuéliens ont déjà été tués au Brésil au cours du premier trimestre, s’ajoutant aux 83 morts violentes enregistrées l’année passée. Face à l’afflux des migrants, Suely Campos, le gouverneur de l’État fédéral de Roraima, a déclaré : «  Nous craignons que cela entraîne une déstabilisation économique et sociale dans notre État. Je m’occupe des besoins des Vénézuéliens au détriment des Brésiliens.  »1 À la fin du mois d’août, le président Michel Temer a fait se déployer l’armée « pour garantir la loi et l’ordre  » le long de la frontière.

Tous les jours, ce sont au moins 5 000 Vénézuéliens de toutes conditions sociales qui fuient la pauvreté et la pénurie et cherchent à passer dans les principaux pays d’Amérique latine, voire les États-Unis ou l’Espagne. Les Nations unies considèrent ce phénomène comme le plus grand exode de l’histoire de l’Amérique latine. Les pays limitrophes ont durci les conditions d’entrée sur leur territoire, exigeant désormais la présentation d’un passeport. Depuis des mois, des files de migrants, venus à pied ou en car, fuient leur pays, dans des conditions sanitaires pénibles, subissant l’humiliation bureaucratique, obligés de recourir à toutes sortes d’expédients pour survivre, notamment la prostitution.

Concernant l’Uruguay, notre correspondant Cheru Corisco nuançait le rejet des autochtones : « Quelques milliers de Vénézuéliens ont débarqué ici aussi et ils sont plutôt bien traités. Rien à voir avec la parano péruvienne ou les pogroms brésiliens ! L’Uruguay est un pays peu peuplé qui se définit encore comme une terre d’accueil. Il n’exige d’ailleurs pas de passeport pour une entrée terrestre, une carte d’identité suffit. L’éloignement géographique du Venezuela fait aussi que ceux qui arrivent sont plutôt issus des classes moyennes.  » Cela étant, les entrées en Uruguay – pays qui soutenait jusqu’à récemment le régime chaviste – restent loin derrière celles de l’Argentine ou du Chili, pays dans lequel 124 501 arrivées ont déjà été enregistrées au premier semestre 2018.

Au total, 2,3 à 3 millions de personnes sont parties du Venezuela depuis 1998, dont 1,6 million depuis 2015, année où la situation économique s’est considérablement détériorée. Plus de 1,8 million de Vénézuéliens pourraient encore quitter le pays d’ici fin 2018. Et plus d’un tiers de la population l’envisagerait2.

En février 2018, selon une étude de l’institut Datincorp auprès de familles de migrants, 45 % des sondés donnait la crise économique pour raison principale de leur départ, 25 % le manque d’espoir de changement politique et 15 % l’insécurité personnelle.

Face à cette hémorragie démographique doublée d’une crise humanitaire, le pouvoir de Maduro s’enfonce dans le déni et le délire paranoïaque, faisant porter la responsabilité du chaos intérieur à « une intervention étrangère » – ourdie comme de bien entendu par Washington, l’Union européenne et les pays du groupe de Lima. Un scénario de propagande monolithique que personne ne croit de bonne foi, sauf peut-être dans les médias de la France insoumise.

« Je dis aux Vénézuéliens qui souhaitent échapper à l’esclavage économique : arrêtez de laver les toilettes à l’étranger et venez vivre dans votre patrie  », a déclaré, le mardi 28 août, Nicolas Maduro, tout en promettant un « plan de relance » qui prévoit entre autres la multiplication par 34 du salaire minimum face à une menace d’inflation de… 1 000 000 %. Peu de chance que son annonce inverse la tendance.


À lire aussi


1 « El éxodo de los venezolanos sofoca al norte de Brasil  », par Ernesto Londoño sur le site du New York Times, 30 avril 2018.

2 « Calculating Our Diaspora », sur le site Caracas chronicles.

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