Sans-papiers

Reconduites à la frontière de la légalité

Un ensemble de pratiques obscures vise à gonfler le nombre d’expulsions d’étrangers en situation irrégulière. Politique du chiffre oblige, l’Administration et la police françaises transgressent même la législation européenne !
par Soulcié

Depuis maintenant cinq ans, les tauliers de la lutte contre l’immigration clandestine définissent précisément le nombre de reconduites à la frontière. En 2010, l’objectif est de lourder 28 000 sans-papiers, et il a son importance à l’heure où l’étranger fait de plus en plus figure d’ennemi. Début novembre, en bon disciple de la Sarkozie, le ministre de l’Immigration et de l’Intégration Éric Besson annonçait que 21 384 sans-papiers avaient été expulsés depuis le début de l’année. Les commandes de l’Immigration étant passées à l’Intérieur lors du dernier remaniement, cette lourde tâche incombe désormais à Brice Hortefeux. Ce dernier a grommelé dans Le Figaro du 7 décembre : « L’immigration illégale doit baisser, et elle baissera. » La belle promesse, alors que l’Administration et la police peinent à dénicher suffisamment d’étrangers en situation irrégulière. Déjà, en 2008, Hortefeux avait manqué (de peu) ses objectifs lors de son premier passage au poste de grand expulseur.

La politique du chiffre, ce sont des drames humains, mais aussi une tambouille pas bien nette visant à gonfler les chiffres des reconduites hors de l’Hexagone. Les interpellations à la frontière franco-espagnole illustrent ces méthodes jugées scandaleuses par la Cimade, association de défense de sans-papiers. De nombreux maghrébins mais aussi beaucoup de Sud-Américains franchissent les Pyrénées. Or « ici on arrête des gens qui rentrent chez eux, explique Laurence Hardouin, avocate au barreau de Bayonne. Certains présentent même un billet de retour, mais ils viendront quand même grossir le chiffre des reconduites à la frontière. » Aux Centres de rétention administrative [CRA] d’Hendaye et de Perpignan, on estime à 25 % le nombre de sans-papiers expulsés alors qu’ils retournaient au pays. Membre de la Cimade, l’écrivain Marie Cosnay1 a publié en 2009 un ouvrage édifiant consacré à cette situation. Elle explique : « C’est fréquent que les chauffeurs dénoncent les sans-papiers. La Police aux frontières [PAF] n’a plus qu’à monter dans le bus à la frontière. » L’incitation à la délation comme pilier de la politique d’expulsion ? Rien d’étonnant.

Toujours plus vicieux : en vertu du principe de réadmission défini par les accords de Malaga, si un sans-papiers arrêté en Espagne déboule tout juste de France, il peut être renvoyé dans un CRA hexagonal. Et être ensuite jugé et expulsé depuis ce côté des Pyrénées. Hop, un de plus ! Commentaire de Nicolas Boudot, en charge du cabinet d’Éric Besson : « Ils restent clandestins ! […] En application du traité de Schengen, la frontière se trouve […] au sud de l’Espagne. » Mais, si la frontière n’existe pas entre la France et l’Espagne, pourquoi est-elle le théâtre de contrôles systématiques au poste du Perthus en Catalogne et à Biriatu, au Pays basque ? Ainsi, le 22 juin 2010, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rappelé à l’ordre la France pour non-respect de ces engagements communautaires. En clair, le principe induit par le Traité de Lisbonne est la libre circulation des personnes. « Les contrôles doivent absolument être justifiés par une réquisition du procureur », explique l’avocate Laurence Hardouin. Réquisition qui fait très souvent défaut. D’ailleurs, l’arrêt de la CJUE s’accompagnait d’une menace d’amende de 10 millions d’euros car ces normes sont en vigueur depuis 2006 mais Paris faisait la sourde oreille. Complexe, l’affaire a été peu relayée dans les médias français. Une aubaine pour l’Administration et la PAF qui continuent à les enfreindre allégrement, orchestrant sur le terrain ce que Deleuze appelait « les petits fascismes de la vie ordinaire ». Ainsi, le 9 juillet dernier, la cour d’appel de Montpellier a sanctionné la PAF qui, prétextant des contrôles routiers, menait des contrôles d’identité systématiques au poste frontière du Perthus. Mais des subterfuges, il y en a bien d’autres, à l’heure où la France tremble de la menace d’Al Qaida ! Grâce au plan Vigipirate, au « rouge » depuis juillet 2005, les policiers multiplient les interpellations et, au tribunal de grande instance de Perpignan, on compte déjà une vingtaine d’arrêtés de reconduites fondés sur la lutte antiterroriste. Enfin, pour éviter de se faire rappeler à l’ordre par la CJUE, « les procureurs augmentent régulièrement la fréquence de leurs réquisitions », explique Clémence Vinnaye de la Cimade de Perpignan.

« L’immigration illégale doit baisser, et elle baissera. » Et qu’importe si les procédures sont à la limite de la légalité.


1 Entre Chagrin et néant - Audiences d’étrangers, Marie Cosnay, éditions Laurence Teper, 2009.

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