Le grand orchestre médiatique s’est alors mis à entonner, fortississimo, l’air de l’hommage de tout un peuple au sacrifice héroïque des héros de la Nation ressoudée. Chaque titre y allant de sa partition. Dans l’édition du 10 mai du Figaro, à l’unisson de la détresse du chef d’état-major des armées, François Lecointre, « au bord des larmes », il était important d’insister, in fine, sur les qualités du « Black Hornet 3 » [1], « minuscule drone-espion de 16 centimètres » et « nouveau bijou de l’Armée française ». Celui qui paie l’orchestre choisit la musique, a-t-on coutume de dire chez Dassault, propriétaire du plus vieux journal de France. La plupart des autres gazettes nationales se sont contentées de reprendre à grosses lampées des extraits de l’oraison funèbre prononcée le 14 mai par le chef suprême des armées. « Et notre pays sent bien, notre pays sait bien dans ses profondeurs que votre exemple nous sauve tous. » Toujours aussi perché Manu-Christ, non ?
Pour les Bretons du Télégramme et d’Ouest-France [2], le commando Hubert, c’est un peu comme des gars du pays. Presque tous issus des fusiliers marins, ils en forment « l’élite de l’élite ».
Rien oublié ? « La palme d’or des forces spéciales françaises, comparables aux Navy Seals américains ». Ah ! Le tout au terme d’une « sélection à nulle autre pareille ». La preuve ultime : « Aucune femme n’a jamais été brevetée commando. » Et pour parfaire le tableau, rien de tel que l’héritage de la France libre : le lieutenant de vaisseau Augustin Hubert, tué le 6 juin 1944, faisait partie des 177 hommes du commando Kieffer [3] débarqués sur les côtes normandes aux côtés des centaines de milliers de soldats alliés. Des héros français en bonne et due forme donc. À condition d’ignorer la part d’ombre de toute cette histoire.
Après la remilitarisation du service Action de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, services secrets), en 1986, le pouvoir exécutif est pressé d’utiliser ce nouvel outil pour des opérations aussi violentes que discrètes. Aux côtés du 11e régiment parachutiste de choc (des spécialistes de l’homicide commandité [4]), les autres éléments des forces spéciales, dont le commando Hubert, sont de plus en plus sollicités. Notamment, le 5 mai 1988, lors de l’opération « Victor » à Ouvéa en Nouvelle-Calédonie. Alors que des militants du Front de libération nationale kanak et socialiste sont solidement retranchés dans une grotte avec une vingtaine de gendarmes capturés peu avant, Jacques Chirac, Premier ministre de la première cohabitation et candidat à l’élection présidentielle dont le deuxième tour est prévu le 8 mai, donne l’ordre de lancer l’assaut. Sous un ciel couvert, à 6 h 10, 75 hommes du 11e choc du commando Hubert et du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) passent à l’action. Rapidement, deux sont tués et deux autres blessés. Dès lors, tout s’emballe. Tandis que les otages s’échappent par une cheminée naturelle, les militaires français emploient un lance-flammes pour déloger les défenseurs.
Pour la suite des événements, les témoignages divergent. Néanmoins, de nombreuses enquêtes journalistiques font état d’exécutions sommaires et d’actes de torture commis sur les 19 Kanaks massacrés ce jour-là. Et le général Vidal, commandant du dispositif militaire sur place, demande au chef du GIGN, le capitaine Legorjus, de taire la participation du commando Hubert à cette opération…
Devenues bras armés de la Némésis républicaine, les forces spéciales françaises sont au cœur du changement de doctrine dans la lutte contre le terrorisme acté dès 2008 sous Sarkozy et confirmé ensuite par Hollande. Désormais, la France s’aligne sur la manière forte, employée systématiquement par les États-Unis en cas de kidnapping ou plus globalement face aux mouvements djihadistes. Jusque dans le vocabulaire emprunté par le ministre de la Défense, Le Drian, au moment du déclenchement de l’opération Serval en 2013 : « On va casser le plus possible de ces connards [5] ». C’est (aussi) celui qui dit qui l’est, non ?