Edito et sommaire du n°163

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En une : « Labour fou », de Etienne Savoye.

Édito : Plus Bure sera leur chute

Macron et son monde avaient prévenu : l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dames-des-Landes ne devait pas être interprété comme un aveu de faiblesse de la part de l’État. Les moblots ont donc débarqué le jeudi 22 février à l’aube pour « nettoyer » toute contestation du projet de poubelle nucléaire à Bure. C’est bien ce terme, « nettoyer », qui a été utilisé par l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs dans son désopilant communiqué : il s’agit « de ré-accéder au bois Lejuc pour le remettre en état » et de «  redonner l’accès et l’usage aux riverains, chasseurs, promeneurs, comme c’était le cas avant l’occupation par des opposants ». Lesquels riverains seront sans doute ravis de se livrer à la cueillette de champignons atomiques si le cimetière radioactif vient à être imposé...

En attendant, la vingtaine d’occupants du bois Lejuc, qui bravaient l’hiver meusien et ses températures parfois glaciales (le collectif réchauffe, certes, mais un peu moins quand il fait dix degrés en dessous de zéro), n’ont eu d’autre choix que d’abandonner leurs cabanes et fortifications : impossible de résister à 500 gendarmes accompagnés de bulldozers. Crève-cœur. « Tant de belles choses se sont construites dans ce bois ! Les cabanes et lieux de vie, bien sûr. Mais aussi les rencontres, les soirées au coin du feu, la solidarité. Un enfant y est même né... », raconte au téléphone un camarade investi dans la lutte, poursuivant : « L’évacuation a donné lieu à des cris et des pleurs, et suscité beaucoup de tristesse et de rage. Mais paradoxalement, c’est en les voyant tout détruire que j’ai compris la réelle valeur de ce qui se bâtissait ici depuis la précédente évacuation, il y a un an et demi. » C’est en prenant conscience de ce qu’on perd qu’on se donne des chances de le regagner.

Car si les pandores, et l’État, ont gagné une bataille, ils sont loin, ô bien loin, d’avoir remporté la « guerre ». Sur le plan juridique, d’abord : plusieurs recours sont encore pendants contre le projet de Cigéo, tandis que de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer l’illégalité de l’intervention gendarmesque1. Mais c’est surtout sur le terrain que la victoire des nucléocrates s’annonce de courte durée. « Depuis un an, c’est flagrant, de plus en plus de gens s’investissent dans cette lutte. Une belle énergie s’en dégage, s’enthousiasme le camarade. Alors oui, ils nous ont arraché quelque chose en évacuant le bois. Mais on est fermement décidé à le reprendre. Et je ne vois pas comment les gendarmes pourront l’empêcher : le bois est immense et touffu, ils ne pourront pas le cadenasser ad vitam aeternam. » Les opposants reprendront la forêt, c’est certain. Ils reconstruiront les cabanes. Ils seront plus nombreux. Plus forts. Obligé. Parce qu’eux, à la différence des uniformes, savent bailler aux étoiles et savourer la beauté de ce qu’il reste à sauver. Le copain, dernière : « Tu sais quoi ? Il n’y a pas de plus belle voûte étoilée qu’au-dessus du bois Lejuc. »

La rédaction de CQFD

Dossier : Reprendre la clé des champs

Par Julien Loïs.

Discussion avec Aude Vidal : « La paysannerie, c’est l’histoire d’une longue dépossession » > Sur la couverture : une tête de vache avec un code-barres fiché dans l’œil. On achève bien les éleveurs est un bouquin illustré où les paysans se racontent en direct. Rencontre avec Aude Vidal, coordinatrice de ce salutaire projet.

Racines de lutte : Dans les années 1970, « le mariage des LIP et du Larzac » > Ils s’allient aux dockers. Attaquent les grands propriétaires. Et s’inspirent de la théologie de la Libération. Dans les années 1970, des paysans montent au front, affirmant que la lutte des classes traverse le monde agricole. Leur héritage reste vivace.

Reportage à Notre-Dame-des-Landes : La Zad joue à qui terre gagne > Il y a eu les bons millésimes à oignons, l’année des patates bouffées par le taupin, les étés à mildiou, trop mouillés pour faire de belles tomates, la sécheresse l’an passé... De semailles en récoltes, l’agriculture d’occupation s’est enracinée dans le cycle des saisons, se fichant pas mal de l’illégalité, regardant plus loin que l’urgence des menaces et mobilisations. L’abandon du projet d’aéroport sauve le bocage tout en ouvrant une nouvelle séquence. Celle du maintien des acquis agricoles de la lutte et de l’apport éventuel de nouveaux projets. Mais aussi celle de la composition avec les services de l’État et la chambre d’agriculture.

Agricultrices en lutte : Face au sexisme, inverser la vapeur > Discrimination via le statut professionnel, orientation professionnelle genrée, remarques machistes : la condition des femmes en agriculture n’est guère reluisante. Depuis les années 1960, nombre de paysannes s’organisent pour lutter contre ce sexisme bien présent. Aujourd’hui, certaines d’entre elles le font en recourant aux pratiques de l’éducation populaire.

Pas de pays sans paysans : Portrait à la barbe fleurie > Jérôme est parpagnas. Installé « pour voir », en 1991, sur une petite surface léguée par son père, il y a pris goût. Produisant des légumes de qualité. Écumant dans un premier temps les marchés. Puis participant au lancement des premières Amap locales. Entre nécessité de gagner sa vie et envie d’expérimenter, rencontre avec un paysan pas fatigué.

Emprise administrative et industrielle : Face aux normes, « reconstruire une culture de lutte commune » > Si l’agriculture était avant-guerre le secteur d’activité le moins encadré, il est désormais celui qui est le plus réglementé et contrôlé. Sous couvert de traçabilité et de protection des consommateurs, de nombreux paysans refusant de se plier aux exigences de l’agriculture industrielle se trouvent harcelés et réprimés par une administration toujours plus intrusive. Entretien avec Claude, membre du Collectif d’agriculteurs et agricultrices contre les normes, qui rassemble des paysans combattant la mise au pas administrative et industrielle.

Justice et vérité pour Jérôme Laronze : Un paysan est mort > En mai 2017, Jérôme Laronze, éleveur en Saône-et-Loire, était assassiné de trois balles tirées par un gendarme. Son tort ? S’être opposé aux contrôles agricoles. Bref retour sur ce drame en milieu paysan.

Actu de par ici et d’ailleurs

Déchets nucléaires près de Narbonne : Les cobayes de Malvési > Depuis plus d’un demi-siècle, le site de Malvési calibre du combustible nucléaire. Conservés sous forme liquide, les déchets s’accumulent. Trop. Areva a donc concocté un projet d’incinérateur. Attention les bronches.

Creuse, Isère, Bouches-du-Rhône… : Ces départements qui jettent à la rue des mineurs isolés > Plusieurs conseils départementaux pourraient être poursuivis en justice pour abandon d’enfants. À force de botter en touche, leurs services d’Aide sociale à l’enfance en arrivent à mettre en danger des dizaines de mineurs non accompagnés. Le cas de Karamba Noba, parti de Guinée à l’âge de 15 ans, est suspendu aujourd’hui dans les limbes du bon vouloir bureaucratique. Une histoire exemplaire, mais pas exceptionnelle.

Plus de collégiens, moins d’argent : Ça gronde dans les collèges du 93 > Des établissements surchargés. Et des moyens se réduisant comme peau de chagrin. Les collèges de Seine-Saint-Denis vont mal, constate Loez, qui y enseigne. Tableau d’ensemble.

Plan social chez Gemalto : Le cadre se rebiffe (à peine) > Cette boîte fait dans la cybersécurité, licencie tranquille 10 % de ses effectifs, en majorité des cadres ou ingénieurs, et une fois mise à poil s’offre au géant Thales... « Eh bien, c’est leur problème », s’est-on dit à CQFD. Avant de nous raviser... Quand même, ça pose question : comment réagit un cadre lorsque pèse la menace de se faire lourder tel un vulgaire prolo ? Après mûre réflexion, le Chien rouge a décidé de mettre ses deux plus beaux Jean-Baptiste sur le coup.

Chronique antisociale : « J’ai touché le fond de la piscine » > Quand la piscine municipale est fermée, notre envoyé spécial s’envoie en l’air dans les allées du salon de la piscine privée. Là-bas, loin des pauvres, loin du cœur, tout baigne.

Lectures et cultures de partout

L’auto-organisation n’est pas un dîner de gala : Le fleuve intranquille du socialisme sauvage > L’ami charles Reeve, qui participe parfois à CQFD, vient de publier Le socialisme sauvage – Essai sur l’auto-organisation et la démocratie directe dans les luttes de 1789 à nos jours. Un beau titre (et un sous-titre explicite) pour retracer deux siècles de mouvements d’émancipation en butte aux courants autoritaires. Rencontre avec l’auteur rue de Tolbiac à Paris, autour d’un café.

L’article dont vous êtes le héros : Une augmentation bien méritée > L’1consolable sort un excellent concept-DVD « dont vous êtes le héros », L’augmentation. Si vous êtes déjà convaincu, commandez-le sur son site. Sinon, lisez l’article.

Une histoire populaire du football – les bonnes feuilles : Maradona « vaurien et génie » > Battez tambours, sonnez trompettes ! L’ami Mickaël Corrreia, qui participe depuis un bail à CQFD, publie son premier bouquin. Le bel ouvrage se nomme Une histoire populaire de football et paraît ce 8 mars à La Découverte2. Que vous aimiez le ballon rond ou non importe peu : croisant sport, luttes et histoire sociale, le livre n’est pas réservé aux aficionados du foot. A preuve, ces quelques bonnes feuilles tirées du chapitre consacré à Diego Maradona. Plongée dans la période faste du bouillant Argentil, avant que la drogue et les scandales ne le tirent définitivement vers le bas.


1 Dans un communiqué du 24 février, le Syndicat des avocats de France s’indignait ainsi d’une expulsion effectuée « sans que les occupants n’aient reçu le moindre commandement de quitter les lieux et sans qu’ils puissent utilement saisir un juge avant l’exécution de cette décision ».

2 Avis aux Parisiens : le camarade Correia présentera les grands axes de son livre le 6 mars à 19 h au Lieu-Dit (6, rue Sorbier, 20e arrondissement) en présence du collectif Red Star Bauer et des Dégommeuses. Toute absence vaudra carton rouge.

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1 commentaire
  • 2 mars 2018, 19:32, par François

    Cher Christophe, rien à faire, tu restes mon préféré. Je viens de lire ta chronique d’économie circulaire kafkaïenne (« J’ai touché le fond de la piscine », p.24), et je me suis vraiment poilé du fond de mon spa ! Un grand merci.
    —  François, fonctionnaire fainéant (c’est pas redondant, ça ?) en vacances (re)

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