Dossier ACAB

Daniel Blake de tous les métiers...

Par Bertoyas

Si vous n’avez pas encore rencontré Daniel Blake sur un écran de cinéma depuis octobre, courez donc dans les dernières salles où passe le film de Ken Loach primé à Cannes en mai 2016. C’est peut-être la manière la plus concrète et émouvante de saisir la place décisive prise par l’informatique dans le management, les administrations et tous les rouages du monde capitaliste.

La petite soixantaine, Daniel Blake est un menuisier de Newcastle. Une crise cardiaque l’a mis pour un temps sur la touche au boulot, et il n’arrive pas à toucher les indemnités d’invalidité auxquelles il a théoriquement droit : une instance retranchée derrière des standards téléphoniques et des écrans d’ordinateur les lui a refusées. En attendant de gagner un éventuel recours, il doit s’inscrire au Job Centre (l’équivalent de Pôle emploi outre-Manche) par Internet et prouver on line qu’il cherche activement un emploi, pour toucher un peu de chômage.

Dans l’Angleterre de David Cameron, comme dans la France de Sarkozy et Hollande (et Fillon, et Macron...), le Château de Kafka est un dédale d’open spaces virtuels, reliés par la fibre optique. Blake s’y perd, parce qu’il est un humain profondément ancré dans le monde matériel : celui du bricolage qui lui permet d’aider une mère isolée à chauffer ses enfants ; celui du bois, qu’il aime sculpter finement au ciseau ; celui de son magnétophone des années 1980, avec lequel il continue en 2016 d’écouter de la musique. « Je peux vous construire une maison, mais ne me demandez pas de faire mes démarches par ordinateur ! », lance-t-il à sa conseillère au Job Centre, qui exécute fidèlement la feuille de route des bureaucraties néo-libérales : nier l’individu, tout en le rendant plus dépendant que jamais de la machine sociale.

On est là au cœur des thématiques et des terrains de lutte choisis par le groupe Écran Total 1, que CQFD avait présenté à travers une brève interview dans son numéro de décembre au sujet des nouvelles formes du syndicalisme. Ce mois-ci, carte blanche leur est donnée pour un dossier consacré à l’informatisation du travail et de la vie sociale. Des réflexions générales s’y mêlent à une série de témoignages sur la déshumanisation par la technologie, qui illustrent comment la médiation généralisée des écrans donne aux managers, aux actionnaires et à l’État des leviers pour chiffrer, soumettre et dégraisser (successivement ou simultanément)2. À la lecture de ces textes, on comprendra en creux que l’ambition (démesurée ?) d’Écran Total est de fédérer les refus individuels et sensibles de tous les Daniel Blake – que Blake soit un administré ou une administratrice, une salariée ou un indépendant, un travailleur manuel ou une intellectuelle ; de susciter des dynamiques de solidarités et de résistances sur un front politico-syndical de nouveau incontournable : l’opposition au taylorisme, au machinisme et à la bureaucratie.


1 On peut trouver la plate-forme d’Écran total (sous-titrée : « Résister à la gestion et l’informatisation de nos vies ») sur le site de Reporterre.

2 En complément de ce dossier, on peut ainsi se reporter aux articles suivants : « Puces RFID et punaises administratives » (CQFD n°119), « Le sperme de ruminant est une marchandise » (CQFD n°95, n°96 et n°97).

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Paru dans CQFD n°151 (février 2017)
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Par Écran Total
Illustré par Bertoyas

Mis en ligne le 03.02.2017