Mais notre héraut n’est pas homme à se reposer sur ses lauriers. Dans la foulée, il pose les jalons de son nouveau bébé, la start-up associative Lulu dans ma rue, dont l’ambition est de réparer ce lien social mis à mal dans certains quartiers de la capitale. Pour qui douterait du potentiel émancipateur de la démarche, cette mise en bouche piochée sur le site : « On a tous rêvé d’avoir, à portée de main, quelqu’un de confiance qui puisse nous aider pour des petits tracas dans notre quotidien ou qui nous permette de réaliser des petites envies…, me faire livrer des croissants tout chauds avec le journal le dimanche matin, sortir le chien à ma place, aller me chercher un colis, porter des cartons à la cave ou fixer ma tringle à rideaux, monter un meuble ou s’occuper de mes plantes pendant les vacances, etc., etc., etc. » Plus de problème, les Lulus sont là ! Interviewé sur France Bleu Paris Région le 12 janvier dernier, Charles-Édouard précisait : « Pour être un Lulu, il faut une compétence forte : du bricolage, de l’informatique, de la couture ; et puis il faut aussi un état d’esprit, c’est-à-dire que pour nous, les Lulus, ce sont des gens du quartier qui aiment rendre service et pour qui rendre service a du sens. Ça, c’est essentiel. » Le journaliste, conquis : « Faut passer sa journée avec le sourire. » « Exactement. Et puis je pense qu’aujourd’hui on en a marre du livreur Amazon qui a trois secondes et demie pour vous balancer son paquet. Ce qu’on veut avec Lulu, c’est réinventer cette vie de quartier. »
Pour se dégoter un Lulu, on peut passer un coup de bigo ou cliquer sur le site. Mais si vous voulez adhérer à la philosophie pleine et entière du projet, le mieux est d’enfiler vos mocassins à glands ou vos escarpins à bride couleur chair et d’aller rencontrer la concierge. C’est dans un ancien kiosque à journaux qu’une bignole 2.0 vous mettra en relation avec le réseau des Lulus : une armée d’autoentrepreneurs rétribués 11 à 22 euros/heure et sur lesquels la maison Lulu prélèvera une dîme de 15 %. Pour le client, on appréciera la douceur fiscale, puisque l’État finance à hauteur de 50 % ces petits arrangements entre voisins via le crédit d’impôt. Camouflés sous un tapis de bonne conscience, ces services à la personne consacrent le boom d’une juteuse externalisation du travail domestique. Un tour sur le web permet de mesurer le dynamisme de ce business de proximité : Allovoisins.com, Smiile.com, AuxServicesdesVoisins.com, etc. Serions-nous aux portes de l’ubérisation du lien social ? Quand le journaliste lui demande sa plus belle histoire de Lulu, Charles-Édouard Vincent s’émotionne : « C’est une maman qui était enceinte et qui était très fatiguée, […] et son petit garçon avait une grosse boîte de Lego, elle a demandé un Lulu pour aider à monter la boîte de Lego pour son garçon parce qu’elle n’y arrivait pas. » « Et vous l’avez trouvé, ce Lulu ? » « Oui, on a trouvé Lulu et Lulu a passé un super moment ! » L’histoire ne dit pas si Lulu a eu droit à sa part de brioche.