1983 : la Marche pour l’égalité

1973 : un été raciste

Au début des années 1970, après une vague massive d’immigration économique suscitée par les besoins de main-d’œuvre des secteurs industriels (bâtiment, automobile), le gouvernement décide de fermer la porte… brutalement et rapidement. En 1972, alors que la crise économique se profile à l’horizon, la circulaire Fontanet restreint la circulation des travailleurs maghrébins en liant l’attribution de la carte de séjour à un titre de travail. Les Algériens, principaux visés, subissent aussi les conséquences des rapports houleux entre la France et son ancienne colonie. De fait, cette circulaire place d’un coup dans la clandestinité 83 % des travailleurs migrants. Les premiers mouvements de grève de la faim voient le jour chez les sans-papiers sur tout le territoire. C’est l’époque où l’intelligentsia gauchiste, les chrétiens de gauche et la Gauche prolétarienne manifestent avec 2 000 travailleurs immigrés en soutien à Said Bouziri, étudiant gréviste de la faim, le jour de son expulsion programmée.

L’année suivante, tandis que le taux des travailleurs immigrés dans la population active atteint 9,5 %, le Mouvement des travailleurs arabes (MTA), d’étudiants et d’ouvriers immigrés, proches des maoïstes, se constitue. L’été 1973 va rester comme l’une des périodes les plus sanglantes pour l’immigration maghrébine dans le sud de la France, au point qu’on a pu parler de « flambée de racisme » ou d’«  été meurtrier ». Le 12 juin, la ville de Grasse ouvre le bal de la campagne anti-arabe. Suite à une manifestation de travailleurs agricoles pour l’obtention de la carte de séjour, un Comité de vigilance des commerçants et artisans grassois, soutenu par l’édile local et relayé par les revanchards de l’OAS, dénoncent le « scandale » des manifestations d’immigrés et se livrent à une ratonnade qui fera 5 blessés. Surfant sur la vague xénophobe, le 21 juin, c’est un meeting contre « l’immigration sauvage » à la Mutualité à Paris qui donne lieu à des affrontements entre la police et gauchistes contre-manifestants, puis à l’interdiction de la Ligue communiste et d’Ordre nouveau.

Par Amadou Gaye.

Mais c’est à Marseille, suite à l’égorgement d’un chauffeur de bus par un déséquilibré algérien le 25 août, que l’émotion va laisser la place à un climat de lynchage contre les Maghrébins. Le 26 août, l’éditorialiste Gabriel Domenech, futur sénateur FN, souffle sur les braises dans Le Méridional : «  Nous en avons assez. Assez des voleurs algériens. Assez des vandales algériens. Assez des fanfarons algériens. Assez des syphilitiques algériens. Assez des violeurs algériens. Assez des maquereaux algériens. Assez des fous algériens. Assez des tueurs algériens. » Après ce véritable appel au sang, dans les jours qui suivent, six Maghrébins seront victimes d’assassinats1.

L’assassinat de Lounès Ladj, abattu à la sortie d’un café, le 28 août, pousse l’exaspération à son comble et la communauté algérienne se lance dans un soulèvement collectif. Ainsi, le 31 août, les ouvriers immigrés de la Ciotat mènent une grève spontanée contre les attentats racistes. Le mot d’ordre s’étend et ce sont bientôt 30 000 ouvriers qui se mettent en grève dans les Bouches-du-Rhône.

Le MTA décide d’un appel à la grève générale pour le 14 septembre qui fait descendre dans la rue les ouvriers des grands chantiers, tel celui de Roissy-en-France (1 700 grévistes sur 2 000 ouvriers), comme les commerçants arabes de Belleville. 3 000 personnes se réunissent devant la grande mosquée de Paris. Malgré une mobilisation assez réussie, certains se sentent exclus du mouvement, comme les immigrés d’Afrique noire ou les travailleurs antillais qui se plaignent du caractère trop « restrictif » de l’appel à la grève. Là encore, les composantes du mouvement ouvrier français soutiennent l’action du bout des lèvres quand il ne critique pas une tentative de « division du prolétariat ».

La presse – tout en posant cette question essentielle : La France est-elle raciste ? – y répond en relayant une parole raciste libérée au sujet des Arabes jugés, pour certains, « effrayants », « envahissants », « bruyants », voire, pour d’autres, « délinquants », «  proxénètes », « violeurs ». L’année se termine par l’explosion d’une bombe contre le consulat d’Algérie à Marseille le 14 décembre, qui fait quatre morts et 22 blessés. Revendiqués par le Groupe Charles-Martel qui fustige la «  France algérienne » et «  l’occupation de notre sol par des ethnies totalement inassimilables et d’un apport qualitatif nul  », une vingtaine d’attentats auront lieu dans la décennie qui feront au moins six morts sans que leurs auteurs ne soient jamais retrouvés.

Pour l’année 1973, les autorités algériennes livrent un bilan de 50 assassinats et 300 blessés parmi les ressortissants algériens en France. Comme le fait remarquer la sociologue Rachida Brahim « sur les quatorze morts répertoriés entre le 25 août et le 30 décembre 1973, seules deux enquêtes ont abouti à des inculpations mais les présumés coupables ont rapidement été libérés.2 » Une tendance à la clémence judiciaire en ce qui concerne les crimes racistes qui se poursuivra durant une vingtaine d’années, malgré la loi Pleven de 1972.

En 1975, sort le film Dupont Lajoie, réalisé par Yves Boisset et écrit par Jean-Pierre Bastid, inspiré de l’été meurtrier de 1973. Une partie de la critique réprouvera la caricature du Français plus que moyen qui y est faite. Pourtant la réalité avait déjà largement précédé la fiction.

La suite du dossier "1983 : la Marche pour l’égalité", c’est par ici et par là.


1 Déjà, le 14 août, Ahcène, un Algérien de 18 ans, avait été abattu à coups de revolver par un inconnu lors d’une ratonnade.

2 « Les “crimes racistes” de 1973, le complexe de l’événement-anodin », Telemme-migrations, 2013.

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