ZAD du Testet : « Les arbres volaient au-dessus de nos têtes »

Au Testet, le Conseil général du Tarn a décidé de raser toute une forêt pour offrir une réserve de flotte aux agriculteurs locaux. CQFD a envoyé sur place une de ses jeunes recrues afin de rendre compte de la lutte des opposants au projet. Faisant fi de toute neutralité journalistique, cette dernière est montée dans un arbre pour tenter de lui sauver l’écorce. Témoignage depuis les cimes.

A environ 15 mètres de haut, le chêne qui m’accueille, ce jeudi 4 septembre, offre une vue imprenable sur le carnage. En bas, forces de l’ordre et bûcherons s’activent pour transformer la forêt en désert. Leur objectif  : ratiboiser tout ça pour permettre la construction d’un barrage – un plan d’eau en découlera, permettant d’irriguer les cultures intensives de quelques agriculteurs locaux. Le but des militants de cette nouvelle Zone à défendre (Zad)  : sauvegarder cette forêt et la zone humide qu’elle protège.

Par Samson.

La veille, le 5 septembre, nous sommes arrivés au Testet, à quelques kilomètres de Gaillac (Tarn), remplis d’énergie et le sourire aux lèvres. à pied, nous devons d’abord franchir huit grosses barricades construites par les Zadistes pour fermer cet accès aux véhicules et aux gendarmes. Ce travail colossal sera détruit en un rien de temps par une flopée de gendarmes mobiles – huit camions, s’il vous plaît – le lendemain.

Les camarades que nous croisons ont l’air fatigué, triste, et, contrairement à la dernière fois où nous sommes passés, disent à peine bonjour. La présence policière quotidienne oblige ces militants – qui, pour certains, habitent la zone depuis fin 2013 – à s’activer aussi la nuit ! Et tous sont un peu las d’assister à la destruction du lieu malgré tous leurs efforts. Rapidement, nous entendons les machines, alors que nous sommes encore bien loin du chantier de déboisement. Ambiance. Le soir même, chacun se prépare un sac de survie  : de l’eau et de la nourriture, mais aussi de quoi résister aux éventuelles attaques des forces de l’ordre – de l’argile pour protéger la peau des lacrymos, une bouteille de Maalox, des bandages, des citrons… Dès 6 heures du matin, après avoir passé la nuit sur place, tous les « grimpeurs  » se regroupent pour se distribuer baudriers, cordes et s’attribuer les essences à défendre.

A 7 heures, nous nous dispersons dans la forêt par petits groupes, pour ne pas rester trop isolés. Il va falloir tenir jusqu’à la « débauche », le départ des machines et de la flicaille. Chacun choisit son arbre. Avec Luc et Camille, nous décidons de tendre des cordes entre les arbres pour en sauver plusieurs ! Il faut se dépêcher car, vers 8 heures, les condés arrivent pour sécuriser la zone d’abattage. Ils précèdent les machines qui arrivent plus ou moins rapidement selon l’efficacité des camarades qui, au sol, tentent de les freiner à grands coups d’opérations escargots – des vélorutions ou des clowns formant un cercle circassien. Généralement, elles se finissent dans des nuages de gaz lacrymogène.

Alors que Luc commence son ascension vers le sommet de l’arbre qui l’accueillera pour la journée, les flics arrivent en catimini. J’ai à peine le temps de lui crier de se dépêcher que nous nous faisons gazer aussi sec. « Attrapez et gazez la fille, gazez, gazez, gazez  ! », couinent les bleus. Mais nous sommes déjà trop haut pour qu’ils puissent nous atteindre, et ils ne montent pas nous chercher. Déçus de n’avoir pu nous décrocher, ils partent voir où sont perchés les autres.

Vers 9 heures, nous entendons les premiers bûcherons. Dans notre zone, ils ratiboisent à l’aide de machines, les arbres ne valent sûrement pas le coup d’être abattus un par un… J’ai peur de cet énorme engin, cette broyeuse qui réduit tout en copeaux, et qui fonce sur Camille. Impossible de savoir si le machiniste va voir le petit marquage rose que les gendarmes ont mis sur les arbres que nous occupons. Nous crions pour lui signaler notre présence, mais comment pourrait-il nous entendre ? La broyeuse semble avancer à l’aveuglette. Elle passe entre Luc et moi, frôle nos deux arbres et les fait bouger. Plus inquiétant encore  : les arbres auxquels nous nous sommes arrimés avec des cordes n’ont pas été repérés, ils ne sont pas marqués. Il est donc tout à fait possible que l’un de ceux auxquels Luc est relié soit abattu. Ce ne sera pas le cas. Mais une des machines touchera le câble électrique passant à quelques mètres de moi, et celui-ci prendra feu. Les flics partent en courant et sont remplacés par les pompiers  ! Mais ce n’est pas suffisant pour nous faire descendre. Ni pour arrêter les machinistes. Mettre nos vies en danger ne semble pas les déranger…

Dans la forêt, on entend des cris, des militants qui hurlent « Assassins  ! », qui intiment l’ordre aux bûcherons d’arrêter leur travail, quand d’autres essayent de discuter pour expliquer ce qu’on fait là, perchés. Beaucoup ne savent pas qu’ils travaillent pour le barrage, et encore moins pourquoi nous nous y opposons. Un des bûcherons se plante en bas de l’arbre de Luc. Il est embêté, parce que dans son plan, il doit tomber cet arbre… Alors il demande à Luc de descendre. Face à son refus, il lui explique qu’il va devoir couper l’arbre quand même, mais tout doucement, pas d’inquiétude. Et il est sérieux… Ce sont les gendarmes qui viendront lui dire que, peut-être, c’est un peu trop dangereux.

Les zadistes ont aussi réussi à repérer le nom d’un des gradés – les non-gradés se font appeler par leur matricule. Cela suffit pour qu’une trentaine de grimpeurs, de tous les coins du bois l’appellent, lui donnent ordres et contrordres, provoquant un beau foutoir.

Dans l’après-midi arrive un nouveau type de machine, plus puissant que les autres. Elle fait des bouquets de frênes de 30 mètres de haut comme on cueille des marguerites. La vision des arbres qui volent au-dessus de nos têtes est surréaliste. Du haut de mon perchoir, le spectacle est difficile à supporter  : toute la végétation, aussi riche et dense soit-elle, se retrouve broyée dans les gueules de métal.

Plus tard dans la journée, une équipe du GIGN vient discuter avec nous et tente de nous convaincre de descendre. S’ils posent trop de questions, ils ont l’avantage d’avertir correctement les machinistes de la présence des cordes.

Je cherche un moment de relative intimité pour pouvoir faire pipi, accrochée dans mon baudrier  ; il n’y a plus d’arbres autour de moi pour me cacher… Et, si un camarade a le courage de descendre pour courir à toute vitesse vers un autre arbre, moi je m’en garde bien, nous sommes un peu trop surveillés et la nuit au poste ne me dit pas trop. Je vois des copains partir, menottés… Pour s’être accrochés dans un aulne  !

Je commence aussi à avoir des fourmis dans les jambes, et trouver une position pour dormir cinq minutes est mission impossible. Et les machines semblent ne jamais vouloir s’arrêter. Du coup, la jalousie monte  : Camille a pu s’installer à 15 mètres de hauteur… dans son hamac  !

Luc n’a plus d’eau mais nous arrivons, par un système de cordes, à lui faire passer ma gourde au-dessus des gendarmes mobiles, un peu ébahis. On restera 14 heures dans nos feuillus  : les machinistes ne finiront leur travail qu’à 19 h 30. Ils veulent finir les travaux le plus vite possible. On doit les fatiguer un peu, quand même.

Ce jour-là, notre mission de sauvetage d’arbres aura bien fonctionné. Mais seuls ceux où nous étions sont encore debout, isolés au milieu d’un désert qui s’agrandit jour après jour. Si nous ne remontons pas demain, il n’y aura bientôt plus rien.

Mise à jour

Nous venons d’apprendre qu’un opposant au barrage à trouvé la mort dans la nuit du 25 au 26 octobre.

Nous reviendrons dans le prochain numéro, en kiosque le 7 novembre, sur la lutte du Testet.

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Paru dans CQFD n°125 (octobre 2014)
Par Yasmine Berdoulat
Illustré par Samson

Mis en ligne le 26.10.2014