Syrie : Le martyre de Yarmouk

Par Omar Ibrahim.

« Nous, Palestiniens du camp, nous ne nous sommes jamais considérés comme étrangers au peuple syrien et les Syriens ne nous ont jamais considéré comme des intrus. À Damas, quand la révolution a commencé, c’était pour moi une occasion de retourner une dette envers un peuple qui a accueilli les Palestiniens depuis 1948 », raconte Abou Selma. « Le régime a d’abord cru qu’il pouvait continuer à s’appuyer sur les organisations palestiniennes et notamment sur Ahmed Jibril du FPLP-CG, qui a toujours été vu comme un collabo d’Assad. »

Pourtant, en mai 2011, une partie de la population du camp, se retourne contre le FPLP, qu’elle tient pour responsable des victimes des manifestations de commémoration de la Nakba à la frontière israélienne, sacrifiées à une énième manœuvre politique de Bachar. « Nous nous sommes rendus au siège du FPLP pour le saccager. Nous scandions “Un, un, un Palestiniens et Syriens sont un” et “Traîtres, Traîtres, Traîtres” contre les organisations politiques palestiniennes du camp. Yarmouk était officiellement entré en révolution.  »

Comment ce camp de 250 000 habitants (dont 150 000 réfugiés palestiniens) en 2012 qui recouvre un quartier entier du sud de Damas, s’est retrouvé dévasté et réduit à moins de 18 000 survivants aujourd’hui ? « Pour contrer l’Armée syrienne libre, dont les effectifs grandissaient déjà dans les quartiers voisins, Jibril a tenté de créer les chahibas, des milices chargées de provoquer enlèvements, affrontements et tensions. Mais le camp est resté une importante base logistique et de soins pour les résistants des autres quartiers. En décembre 2012, Assad change de tactique et, après avoir maintenu l’ASL aux portes sud de Yarmouk, il l’attire dans le camp. Dans le même temps, ses bombardements répétés incitent les habitants les plus loyalistes à fuir vers Damas, par l’unique point de passage au nord du camp. Il a utilisé ensuite les chahibas pour bloquer la porte nord et assiéger la zone sud. Sans plus d’issues, les 50 000 personnes restées à Yarmouk après le passage des MIG sont prises au piège. »

Le camp devient alors le théâtre de deux années de siège imposé par l’armée  : « En octobre 2013, il y eut le premier mort de faim, une enfant. Au total, il y a eu 172 morts de faim. Yarmouk c’est une zone urbaine, il n’y a pas d’agriculture, donc il n’y avait rapidement plus rien à manger. On a fini par manger la mauvaise herbe qui pousse sur le palier des maisons. C’était vendu 300 livres le kilo. Les familles pauvres la mangeaient en salade, les autres, qui arrivaient à en acheter 2 kg par jour, la mangeaient bouillie et rebouillie. On tombait malades au bout de quinze jours. »

C’est l’offensive de Daech dans Yarmouk, au 1er avril 2015, qui finit d’achever toute forme de résistance. Après d’intenses combats, bénéficiant vraisemblablement d’un retournement d’alliance de son rival, Jabhat Al-Nosra, Daech prend le contrôle de 90 % du camp. En moins de dix jours, plus de 38 civils et combattants auraient été exécutés ou décapités par les djihadistes, selon l’OSDH (Observatoire syrien des droits de l’homme), dont plusieurs membres du principal groupe palestinien d’opposition, Aknaf Beit Al-Maqdis. Les témoignages affirment que 75 civils et enfants sont emprisonnés dans une école, d’autres sont portés disparus. Pour beaucoup d’observateurs, il est impossible que les combattants de Daech, qui ne tenaient aucune position à Yarmouk comme dans la banlieue de Damas, aient pu investir ce quartier assiégé, sans la complicité de l’armée qui en contrôlait les trois entrées. Le dictateur y aurait trouvé son intérêt à la fois pour briser la résistance palestinienne et pour se poser encore une fois en acteur du moindre mal, face à une menace djihadiste à moins de 10 km de la capitale. Face à une contre-offensive unifiée, Daech va finalement laisser le terrain aux rebelles d’Al Nosra. Depuis, les habitants du camp sont très vite redevenus la cible privilégiée du régime : les pilonnages sans discernement ont repris sur Yarmouk, Assad savoure sa vengeance.

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