Industrie Policière

Pont-de-Buis : la poudrière policière

Un an après le meurtre du militant écologiste Rémi Fraisse sur le site du barrage de Sivens, l’envie reste de dépasser la peur et de maintenir le droit à manifester, en déplaçant les conflits là où se fabriquent les armes de la répression. Le maintien de l’ordre a ses fournisseurs, un business opaque, avec ses profits, ses dividendes aux actionnaires. Reportage près d’une usine d’armement de police, dans le Finistère.
Par Nicolas de La Casinière.

Quatre pauvres lampadaires face à une prairie en pente, une guérite aux allures d’Algéco, de vagues grillages. C’est l’entrée de l’usine Nobel Sport à Pont-de-Buis, dans le fin fond du Finistère, qui se vante d’aligner « la chaîne de fabrication de grenades lacrymogènes la plus automatisée d’Europe  », et d’avoir dépassé en 2008 « le cap remarquable du million de grenades lacrymogènes produites et vendues dans le monde »1. On y produit aussi des munitions pour lanceur de balle de défense (LBD), l’arme qui remplace le Flash-Ball et dégomme les yeux des manifestants. «  En période de forte demande, de révolution à réprimer quelque part dans le monde, l’usine passe en 3x8 », lâche un voisin. C’est un des discrets ateliers de la répression made in France, dont la production s’exporte en Europe, au Bahreïn, en Égypte, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, en Tunisie... Un fournisseur officiel de la violence d’État, pour parler pompeusement. Sur place, l’emprise de l’usine est omniprésente dans le paysage du bourg. Deux petites manifestations se sont tenues sans encombre devant l’usine : en décembre 2013, après l’opération César2 à Notre-Dame-des-Landes, et en décembre 2014, après le meurtre de Rémi Fraisse. « Manif joyeuse, ambiance piquet de grève », se souvient un paysan du coin, les gendarmes laissant placidement démonter gentiment les grillages, sans intervenir. Petit plaisir au passage : la présence de manifestants aux abords de l’usine classée Seveso bloque la production pendant la journée complète. Un troisième rassemblement avec débats s’annonce pour le week-end du 25 octobre, un an après le drame de Sivens, au plus près de l’usine de fabrication de poudres.

Poudre noire, bourg gris

Avec une salle polyvalente dénommée Espace François-Mitterrand, pas étonnant que le bourg de Pont-de-Buis suinte la déprime et la grisaille. « Y a rien, ici. Et personne ne veut venir dans ce patelin », déplore un autre riverain. D’autant que nombre de maisons abandonnées, commerces à vendre et bâtiments délaissés jouxtent les cent hectares du périmètre barbelé de la poudrerie repositionnée sur les marchés de la chasse et de la répression. Nobel Sport, usine classée Seveso niveau haut, est officiellement un « établissement servant à la conservation, à la manipulation ou à la fabrication des poudres, munitions et explosifs ».

L’ancienne poudrerie royale coincée dans un repli de vallée, fondée par Colbert en 1687, a embauché jusqu’à 7 500 salariés, hommes et femmes, pendant la Première Guerre mondiale, effectif tombé à 530 personnes en 1974 – moins de 120 aujourd’hui. L’histoire récente rappelle que le site pue la camarde. Explosion en août 1975 : trois morts, 81 blessés (60 salariés de l’usine et 21 habitants du bourg) et 90 maisons ratiboisées dans un rayon de 3 km, murs et toitures effondrés, sans compter près de 400 autres baraques endommagées sérieusement. Nouvelle explosion en juillet 2014 : trois blessés. Mauvaise cuvée pour les fournisseurs officiels de la répression : un mois plus tôt, le 24 juin, une ouvrière trouvait la mort dans l’usine Alsetex à Précigné (Mayenne) qui fabrique aussi des grenades pour la police et la gendarmerie. Mais on s’habitue : après tout, ce n’est que le cinquième décès d’ouvriers soufflés par explosion sur le site depuis 1959.

À Pont-de-Buis, les patrons martèlent bien sûr que ce qu’ils fabriquent n’est pas dangereux. Comme les préfets et ministres de l’Intérieur, glosant sur les armes prétendues « non létales », ou « à létalité réduite ». À les entendre, on pourrait tuer « partiellement » : la « létalité » serait toute relative, il suffirait d’appliquer un coefficient d’intensité : un peu mort, beaucoup décédé, passionnément occis…

À la source des armes

Sortir des centres-villes, déplacer la protestation sur les lieux de production de ce matériel de guerre sociale est une idée née entre Notre-Dame-des-Landes, Brest, Montreuil et Nantes. C’est à dire entre la ZAD, le comité du Finistère contre le projet d’aéroport nantais, l’assemblée des blessés par la police regroupant des mutilés par Flash-Ball et LBD des quartiers populaires, des milieux militants et des supporters de foot eux aussi tirés comme des lapins. Le texte d’appel parle de « mettre en lumière la source des armes qui mutilent et tuent nos compagnons de lutte, ici en France et sur toute la planète ». Car « réduire le conflit politique à l’affrontement de rue, c’est au mieux avoir l’impression de faire peur au pouvoir, au pire perdre un œil ou la vie ».

La mort de Rémi Fraisse et ses lendemains ont laissé autant de rage que d’amertume nappée de nuages lacrymogènes. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le meurtre d’un manifestant, l’impunité des responsables (hiérarchie gendarmesque autant que gouvernement commanditaire), la mise en cause directe du droit de manifester n’ont pas levé l’indignation large qu’on aurait pu normalement attendre. «  La police s’est contentée de boucler intégralement les centres-villes et d’alimenter le sentiment de crainte par assauts médiatiques successifs  », constate l’appel à la manif à Pont-de-Buis.

En mai dernier, la commission parlementaire instaurée par Noël Mamère suite au drame de Sivens auditionne des dizaines de responsables du maintien de l’ordre et entérine leur nouvel armement : le Flash-Ball est remplacé par le LBD, plus précis, plus puissant, plus mutilant. Le 18 mai, les deux flics auteurs de la mort de Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) en 2005 sont relaxés après dix ans de procédure. On pourrait multiplier les épisodes du triomphe de la force brute de l’État. Mais « on doit sortir de l’étouffement après la mort de Rémi Fraisse », résume un zadiste. L’enjeu, c’est aussi de retrouver l’énergie et « la confiance qui nous a permis de repousser 2 000 flics en 2012 sur la ZAD, de bloquer un train de déchets nucléaires pendant plusieurs heures en 2011, d’amener 500 tracteurs dans les rues de Nantes, ou encore de mettre en échec des rafles de sans-papiers, comme à Montreuil  ». Une détermination qui peut se répandre comme une traînée de poudre.


1 Mensuel Pro Sécurité, novembre 2008.

2 Opération de tentative d’évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en octobre et novembre 2012. Un échec pour le pouvoir malgré deux hélicoptères et 1200 gendarmes déployés pendant des semaines.

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4 commentaires
  • 17 octobre 2015, 22:22, par champi

    en Égypte, en Mauritanie, en Côte d’Ivoire, en Tunisie... et aussi en Israël et en Palestine.qui assassine qui ?. à la manipulation ou à la fabrication des poudres, munitions et explosifs . ont ne sera jamais que l’homme invente et invente et ris.un peu mort, beaucoup décédé, passionnément occis… et définitivement spectaculaire , nous voulons le monde ici et maintenant . un mec solitaire qui se promène avec un sac a dot et tous explose dans son dot ? j’ai envie de me battre 55 dans une rue , le type s’appelle lanveur pas tres loin des poudriers de l’orient atmosphère. instaurée par Noël Mamère ou est mon père ? une traînée de poudre. disait lao tseu j’en fait mon affaire , pourvu qu’elle soit mélanger avec beaucoup d’eau... see you later

  • 18 octobre 2015, 14:21, par job

    Il est certes important de dénoncer en actes l’industrie de mort, derrière les robocops qui nous tirent comme des lapins. Mais pour avoir une chance de faire sortir de l’ombre ce complexe militaro-industriel, ses acteurs, et d’être entendu un peu plus largement que dans nos milieux déjà convaincus, notre entre-soi, l’appel et le programme pouvaient viser un enjeu plus large, en clair la politique extérieure agressive de l’Etat Valls-Hollande, qui participe aux côtés des grandes puissances à placer leurs pions dans le conflit irako-syrien, comme au temps « béni » du colonialisme et au mépris des populations locales Bref, relancer l’anti-militarisme dans notre beau pays, qui participe, par son impérialisme armé, à créer les catastrophes humaines et les flots de réfugiés qui tentent désespérément d’échapper aux massacres.Vaste champ de réflexion et d’ouverture de la problématique...Trop peut-être ? L’idée première de cette mobilisation visait à « augmenter notre puissance » et « s’entraîner pour d’autres occasions ». Je pense malheureusement qu’au-delà de l’entre soi de « nos amis » et du complotage (?) - de la comploterie (?) - il serait intéressant de proposer des perspectives plus lisibles et démocratiques pour tous, et non pas réservées aux initiés. Faire de la politique, quoi..? Mais peut-être est-ce déjà pas mal qu’il se passe quelque chose, et ça on ne peut certes pas le reprocher aux camarades !

  • 20 octobre 2015, 13:21

    Vous êtes vraiment des tarés !!! Je ne connais pas la personne qui a rédigé l article mais il n est sûrement jamais venu à pont de buis. Nobel sport nous donne du boulot mais c’est vrai que c’est un mot que les zadistes ne connaissent pas !! Le jour où la police ne sera plus armée nous n aurons plus que nos yeux pour pleurer car les malades comme vous nous ferons crever. A bon entendeur..... Salut

    • 21 octobre 2015, 17:00, par Tim Pesta

      Boulot ? Arbeit macht frei ! Les yeux pour pleurer ? Lacrymogène... Reviens Léon....!!!!

    • 29 octobre 2015, 06:40, par Damien

      Tu vois, c’est ça le problème de la société d’aujourd’hui : on est tellement devenus dépendants de l’argent qu’on est prêt à faire n’importe quoi pour en avoir, sans aucune éthique. Et pourtant, le mec qui te répond n’a rien, ou presque, galère vraiment à s’en sortir avec sa famille. Mais ce n’est pas pour autant que j’irais vendre mon âme à me plier à la dictature de l’argent, que j’irais faire n’importe quel boulot. De même que je refuse de donner mon argent, dans la mesure du possible, à des ordures (choisir où tu achètes), je refuse aussi de leur donner ma main d’œuvre. Et si on faisait tous comme ça, en étant un peu moins individualistes, bah y aurait moins de guerres, moins de flics, moins de McDo, moins de Carrefour et certainement beaucoup plus d’humanité. Vois plus loin, boy (ou fille).

    • 29 octobre 2015, 14:48, par laclique alex

      « boulot ,un mot que les zadistes (et autres racailles) ne connaissent pas . » ......« nous ferons crever ».... Primo : pas besoin de te faire crever t’es déjà mort tout comme les zombis comme toi (cf Kochise) . deuxio : ton boulot de merde inutile ,nuisible, dédié à la mort de milliers d’innocents ,exercé par des pantins sans conscience comme toi , t’oses appeler çà un travail ahahah ....les révoltés savent pourquoi ils travaillent et ce n’est pas pour la gloire du capitalisme et de la patrie pauvre petit fasciste minable ....

  • 23 octobre 2015, 09:26

    Bonjour,

    Pont de buis n’est en rien ce que vous décrivez. J’y vis depuis quelques années, alors certes il y a des commerces/maisons abandonnées, comme dans toutes communes, mais Pont-de-Buis, c’est aussi un tissu associatif important, une population jeune qui démontre le dynamisme de la commune. Merci de vous renseigner un peu plus avant de dénigrer les communes.

    • 25 octobre 2015, 15:28, par Michelle

      Commune dont trop d’habitants au lieu de tirer les leçons du passé, préfèrent fermer les yeux sur l’obscénité de leur « boulot »... Y a-t-il d’autre activité économique que (liée à) Nobel Sport à Pont-de-Buis ? Je n’en ai pas vu ... mais il est vrai que je ne m’y suis pas éternisée. Dommage car son magnifique cadre naturel mériterait mieux. Je serais ravie que ses jeunes y trouvent d’autres perspectives ...

      Merci l’Assemblée des Blessés" et Mediapart pour cet article.

    • 26 octobre 2015, 07:03

      à pont de buis :

      par exemple Liv Bag 800 salariés ...fabrique des air bags ....Boum ça pète aussi mais là ça sauve ; )

      Novatech 200 salariés .

      Salaun Holidays . Siège social . 700 points de vente ds le monde ...

      Donc y a pas RIEN à pt de Buis ...

    • 26 octobre 2015, 13:42, par Mecislas

      Mediapart n’a rien à voir avec cet article. Alors, merci qui ? L’assemblée des blessés, bien sûr, ET CQFD

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