Prolétariat ne pardonne pas

PSA : Chronique d’une fermeture d’usine

Il y a un an, alors que circulaient les premières rumeurs de plans de licenciement dans le groupe PSA, l’équipe de l’émission radio Au fond près du radiateur sur Fréquence Paris-Plurielle commençait à laisser traîner ses micros devant l’usine d’Aulnay. Le 12 juillet 2012, la fermeture du site est annoncée officiellement. « Plan pas acceptable », « Aucun licenciement sec chez Peugeot », feint de sermonner Hollande avant de valider, le 11 septembre, le diagnostic du constructeur automobile sur la « nécessité d’une restructuration1 ». Comme en 1982 et en 1984, les socialistes, au nom de l’austérité, se rangent encore du côté des patrons. Progressivement, la lutte monte en intensité. Depuis le 16 janvier, date de l’entrée en grève, les salariés ne relâchent pas la pression et entament leur troisième mois à l’heure où nous imprimons.
À travers les prises de parole des ouvriers, très vite, les rouages du « système PSA » sont mis en lumière : un paternalisme d’entreprise, autoritaire et empreint d’une logique coloniale, ancré de longue date dans l’histoire du groupe. Une logique face à laquelle s’est développée une culture de luttes, qui fait la spécificité du site d’Aulnay.

« C’est ça, l’ambiance à PSA ! »

L’usine PSA Peugeot Citroën d’Aulnay-sous-Bois a ouvert en 1973. Le site industriel s’installe à l’écart de tout, entre deux autoroutes et une voie ferrée. Aujourd’hui, l’emplacement est au cœur des convoitises : à proximité de l’aéroport de Roissy, des centres commerciaux, du Parc d’exposition de Villepinte et de la future gare de métro du Grand Paris Express, les 168 hectares de terrain – estimés à 300 millions d’euros – prennent de la valeur.

Le site d’Aulnay était jusque-là l’un des plus grands employeurs de Seine-Saint-Denis – 3 300 salariés dont 300 intérimaires –, département ravagé par les licenciements et le chômage. En face du site, cachée par une rangée d’arbres, de l’autre côté de la nationale, la « Cité des 3 000 », avait été construite pour accueillir les ouvriers qui bossent à la chaîne. Une fois les portiques de sécurité franchis, tout est organisé spatialement pour les besoins de la production. Des kilomètres de voies ferrées et de routes relient les différents ateliers et lieux de travail, le but étant de sortir 350 voitures par jour, pour chacune des deux équipes.

Les grèvistes de PSA dans un face-à-face avec la ligne des « jaunes ».

Le temps du travail

« La chaîne c’est du travail répétitif, explique Mohamed, qui engendre beaucoup de maladies, de troubles musculaires. C’est un travail de merde tu vois… Et malgré ça on tient à ce travail là, on tient à ce que les gens gardent leur travail, parce qu’ils ont que ça pour vivre. » À Aulnay, la production s’organise en trois ateliers : le ferrage, la peinture et le montage. Deux équipes se relaient pour y travailler, une du matin et une de l’après midi.

Le groupe PSA, c’est aussi une organisation hiérarchique et rationnelle du travail qui vise toujours une plus grande rentabilité et une meilleure productivité des ouvriers.

«  Ça, c’est le “pas de travail”, poursuit Mohamed. Le salarié qui travaille ici, il commence à la ligne verte. Tu vois la ligne blanche, là, c’est la fin. Donc, il a deux mètres. S’il dépasse la ligne, […] il peut être sanctionné pour ça. C’est grave quand même ! Le mec qui travaille, faut qu’il aille vite, si, par exemple, il fait tomber une pièce, il perd deux ou trois secondes, il y a un truc qui se met à sonner et il se prend un rapport. Il peut prendre trois jours de mise à pied pour ça. »

Tout est minuté, jusqu’au temps passé aux toilettes. S’ajoutent la pénibilité, les dépressions nerveuses et les accidents du travail masqués par la direction. « Ici, les DRH, ils t’appellent chez toi carrément, raconte Gaël, et ils essayent de te dissuader de déclarer ton accident du travail. Ils te disent : “Reste chez toi, t’es payé mais ne déclare pas ton accident”. Le truc, c’est que si, après, tu veux faire reconnaître ta maladie professionnelle, la Sécurité sociale ne la reconnaît pas. Normalement PSA doit payer une amende de 46 000 euros à chaque accident du travail…  »

La direction s’emploie à ce que tout le monde pense avant tout à son intérêt personnel. Refuser de parler aux chefs, de rapporter les discussions entre collègues, c’est s’exposer à des pressions, et s’assurer d’une évolution de carrière nulle, voire de sanctions disciplinaires. L’encadrement des ouvriers se fait aussi par le biais du syndicat maison, la Confédération des syndicats libres (CSL) qui devient en 1999 le Syndicat Indépendant de l’Automobile-Groupement des Syndicats Européens de l’Automobile (SIA-GSEA) encore majoritaire aujourd’hui. Avant la grève de 1982, l’adhésion au syndicat était quasi obligatoire, tout le monde devait posséder la « petite carte de tranquillité ».

« À l’origine, ça s’appelait la CFT (Confédération française du travail)2, explique François. Quand l’usine d’Aulnay a ouvert en 1973, toute une partie de l’encadrement était d’extrême droite ! La CFT c’était l’extrême droite et le RPR. À chaque élection professionnelle à l’usine, le RPR d’Aulnay-sous-Bois venait distribuer un tract à l’usine pour appeler les ouvriers à voter CSL. »

Une enquête faite par la CGT en 19773 a révélé que la direction, avec la collaboration de la CSL et de la police, avait fait ficher des milliers d’ouvriers. Fin janvier 2013, Ghislaine nous raconte que la pratique a toujours cours : « Si t’es dans un mouvement de grève ou si on te voit en manifestation, tu sais que ça pourra être dans ton dossier. Ils ont des dossiers sur tout le monde ! C’est pas officiel, mais officieusement, oui ! »

Malgré cela, depuis 1982, une culture de la lutte s’est développée à Aulnay. C’est le seul site du groupe où l’on peut distribuer des tracts à l’intérieur. Ici tout le monde a en tête que pour arracher quelque chose aux patrons, il faut se battre et construire un réel rapport de force. En 2005, les ouvriers font grève pendant deux semaines et obtiennent le paiement à 100 % des jours de chômage technique. En 2007, c’est pour une augmentation des salaires et la retraite à 55 ans. Un héritage de luttes qui fait peur à la direction et constitue sans doute une des raisons de sa fermeture.

Une fermeture annoncée

Le travail de « compactage » en 2007 pour libérer de l’espace et le louer à des sous-traitants, la fermeture de l’atelier de montage 1 en 2008 et l’arrêt de l’équipe de nuit en 2010 ont été les signes avant-coureurs du plan de restructuration. Il n’y a plus désormais qu’un seul modèle produit à Aulnay : la C3. Les équipes ont été réduites petit à petit au cours des dernières années. Depuis 2003, ce sont plus de 2 000 salariés qui ont quitté le site. La meilleure technique dans cette guerre d’usure : les « plans de départs volontaires ».

«  Moi, je suis rentré en 98, confirme Mustapha. Y avait déjà la rumeur de fermeture. Mais, aujourd’hui, elle est plus flagrante que jamais, y a plus rien ! Y a plus que un montage, y a plus d’équipe de nuit […]. Les gens s’en vont d’eux-mêmes. Ils prennent une somme d’argent dérisoire, et ils quittent le groupe PSA ! Ils ont trouvé un système, avant on avait deux ateliers de montage, on faisait un nombre de bagnoles. Maintenant sur un seul montage, en augmentant les cadences, en chargeant les postes, on arrive pratiquement à faire le nombre de véhicules qu’on faisait avec deux montages. »

Le temps de la lutte

Le 16 janvier 2013, 500 ouvriers d’Aulnay déclenchent une grève reconductible et illimitée, avec occupation de l’usine. « Si vous êtes des grévistes c’est ici que ça se passe, s’exclame une gréviste lors de l’AG du 17 janvier. Maintenant c’est fini d’avoir peur de votre chef, de votre RG [Responsable général], c’est fini de moucharder ! »

Une réappropriation de l’espace s’opère : le PC 10 de l’atelier de montage est rebaptisé « place de la grève » ; les ateliers de montage et de ferrage sont occupés ; et des dizaines de grévistes se relaient pour tenir les piquets. Le lundi 28 janvier, après une semaine de lock-out (décidé par la direction), l’usine est réinvestie par les grévistes, et toute la production est bloquée. La direction de PSA déplore un manque à gagner de 600 voitures par jour depuis le début du conflit. Un gros coup pour le portefeuille des patrons.

Sur le site, deux assemblées générales se tiennent chaque jour, une le matin et une l’après-midi. Des tours sur les chaînes de montages sont organisés afin de vérifier qu’aucune voiture ne sort de l’usine. La bouffe se fait la plupart du temps collectivement, préparée par les grévistes. Une ambiance combative et festive qui fait face à des lignes de « jaunes » envoyés par la direction pour marquer la ligne de front. La stratégie est claire : recours à des vigiles privés pour encadrer le site, fermeture administrative de l’usine pour briser l’organisation de la lutte, présence d’huissiers et de cadres extérieurs au site venus surveiller les grévistes. Tout est bon pour casser la grève. « Les gens avec les gilets jaunes, c’est des cadres, indique Khalid. Tu vois des RU [Responsables d’unité], des chefs… Ils sont là depuis lundi, ils font agents de sécurité […]. La direction ne peut pas ramener d’agents de sécurité, alors pour pallier ça, elle met des cadres. Ils les ont ramenés de Rennes, de Poissy, des autres sites. »

Salvatore ajoute : « Ces cadres-là touchent le double de leur salaire, plus 10 % de prime. En gros, c’est des mecs qui tournent à 5 000, 6 000 euros… pour venir casser la grève […] Il y a un grand dégoût des salariés. Parce que la plupart des salariés, ils se sont tués sur les chaînes de production, ils se sont esquintés la santé et maintenant v’là le résultat ! […] C’est inadmissible, on se laissera jamais faire et on se battra jusqu’au bout ! »

Comme dans la plupart des conflits sociaux, la direction répond par la répression et fait du cas par cas pour diviser et criminaliser l’action collective. Des grévistes sont mis à pied et pour certains déjà licenciés. Le lundi 28 janvier, la direction porte plainte contre six ouvriers soupçonnés d’avoir agressé un huissier. La pression ne s’arrête pas aux portes de l’usine, des courriers sont régulièrement adressés aux familles des grévistes leur signifiant la perte de leur salaire et les enjoignant à reprendre le travail. «  En fait, c’est le seul moyen de la direction pour mettre la pression sur tout le monde, explique Najib, ils accusent des personnes d’avoir attaqué un huissier de justice, de l’avoir tapé derrière la tête alors que s’il avait vraiment été attaqué, il serait à l’hôpital. »

Mais les tentatives d’intimidation ont pour l’heure peu d’impact négatif sur la détermination des grévistes : « Le fait de s’attaquer à des personnes X ou Y c’est pour diminuer les effectifs de militants mais au contraire ça agrandit notre force […], nous, on est unis jusqu’au bout, la grève ne s’arrêtera pas tant que les ouvriers ne l’auront pas décidé », assure Mimoune.

Quand les médias daignent parler de la lutte à Aulnay, c’est pour reprendre la version patronale. Le 5 février, Yves Calvi présente un sujet intitulé « la grève de la honte » dans l’émission C dans l’air sur France 5. On y parle de « violences », de « dégradations », d’un « climat épouvantable qui règne dans l’usine ». Dans la presse les mots « terroristes » et « casseurs » sont lâchés, une terminologie qui vise à distinguer les bons des mauvais, les formes d’action légitimes de celles qui ne le seraient pas.

« Ils disent qu’il y a de la violence dans nos usines, dit Kamal, mais moi, je reviens à ce que le patron a mis en place toutes ces années : la violence patronale. Moi, j’ai eu un accident du travail, on m’a retiré ma restriction médicale du jour ou lendemain, on m’a dit “Va travailler !” […] Où tu vois de la violence ? C’est eux qui font la violence ! »

L’organisation des grévistes permet une solidarité pratique. Des centaines de grévistes accompagnent leurs camarades aux convocations individuelles des salariés mis à pied. Des débrayages quotidiens ont lieu pour étendre le mouvement. Une des forces de la lutte des ouvriers de PSA, c’est la convergence avec les autres travailleurs en grève. Un meeting à la cité des 3 000, des rassemblements et actions conjointes avec les travailleurs de Renaud, de Lear, les Goodyear, les Ford, les Sanofi… Le 15 février, Xavier Mathieu, ex-Conti, s’exclame devant l’usine : « Ce qui vous a nourri, c’est pas votre patron : c’est votre bras, c’est votre sueur. Par contre c’est vous qui les avez enrichis depuis toutes ces années. […] Vous avez fabriqué cette usine, elle vous appartient : reprenez la ! Battez-vous ! Vous êtes en guerre ! Vive la lutte des travailleurs unis, jusqu’au bout ! »

Une caisse de grève est mise en place pour compenser financièrement les jours non travaillés, alimentée par des collectes auprès de mairies et de syndicats, ainsi que par des actions menées en dehors de l’usine (concerts et bouffes de soutien, péages gratuits, etc.). Après un mois de grève, le montant des dons récoltés est évalué à 261 000 euros. L’argent c’est le nerf de la guerre, et c’est aussi un moyen de pression en moins dans les mains du patron. Le premier versement a lieu le 28 février. Un ouvrier titulaire d’une « carte de grève » touche 80 euros pour une semaine de lutte, 200 euros pour deux, 500 pour trois, et 800 euros pour un mois.

Parallèlement, un combat juridique est mené par le syndicat SUD, qui vise à montrer les irrégularités du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) afin d’obtenir sa suspension. Le 6 mars, le juge des référés de Bobigny s’est déclaré incompétent à trancher le litige, et a renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris. « On se bagarre avec un mur, déclare Samir. On est en grève depuis 6 semaines, on va rien lâcher jusqu’à ce qu’on obtienne gain de cause. C’est pas juste en claquant des doigts que le plan social va freiner. Certes la justice ça compte, mais notre grève, notre menace, ça aussi ça compte… et c’est ça le plus important. C’est complémentaire, il faut faire les deux. »

C’est aussi à travers la solidarité, autant que la satisfaction des revendications, que se joue l’enjeu de la grève : « Le fait de faire grève, c’est pas juste pour obtenir [quelque chose], témoigne Nabil. C’est aussi un changement en nous. Il y a un changement qui se produit, parce que, mine de rien, ici, il y a pas que des combattants, on est pas tous nés révolutionnaires. […] Le fait que j’ai dit non et que je me batte, ça permet aussi d’essayer d’effacer toutes les années où j’ai accepté… où j’ai participé par mon silence à ce que le patron fait. » 

Les grévistes ont face à eux une direction intransigeante, à la tête de l’UIMM, l’une des fédérations les plus puissantes du MEDEF. Le combat des ouvriers d’Aulnay ouvre une brèche dans l’offensive patronale qui menace de s’appliquer a tout le pays avec les accords de compétitivité : gel des salaires contre promesse de maintien de l’emploi, mobilité forcée, augmentation du temps de travail, procédures de licenciements facilitées… Rien n’est fini, la lutte continue : Gardez l’écoute ! « Je le redis : on fait la grève, on mange, on rigole, on pleure pas, franchement ça fait plaisir de voir ce qu’il se passe ici », conclut Kamal.

Contact

www.soutien-salaries-automobile-93.org

Soutien aux salariés de l’automobile du 93 – 19-21, rue Jacques-Duclos – 93600 Aulnay-sous-Bois.

Au Fond Près Du Radiateur est une émission, née en 2005, sur radio FPP (106.3 FM) qui a pour objectif de diffuser la parole issue des luttes sociales face à la propagande des médias dominants.

Lire aussi les encadrés du Dossier « PSA ».

Crédits photos : L’équipe de AFPDR


1 En 2011, PSA annonce un record historique de 60 milliards de chiffre d’affaires (+ 7 %), dont 588 millions d’euros de bénéfices nets. 257 millions de dividendes sont versés aux actionnaires. Loin d’être en faillite, le groupe s’est enrichi pendant la crise et dispose d’une trésorerie de 11 milliards d’euros. La famille Peugeot est la plus riche de France, elle possède 4,4 milliards domiciliés en Suisse.

2 Marcel Caillé, Les truands du patronat, éditions sociales, 1977.

3 La Confédération des syndicats libres (CSL) est en effet issue de la Confédération française du travail (CFT) dont des nervis avaient été impliqués dans l’assassinat du militant cégétiste Pierre Maître à Reims en 1977.

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