Communalisme à la québécoise

Le quartier de La Pointe-Saint-Charles se cache dans le Sud-Ouest de Montréal, juste après le canal Lachine, où les industries lourdes ont laissé des traces. La gentrification n’a pas encore touché ce quartier, où une population ouvrière défend chèrement ses structures communautaires. Outre une clinique autogérée qui a longtemps refusé son intégration au système hospitalier général, des habitations en coopérative ont été construites dans les années 1970. L’une d’elles fleure même le doux parfum de l’anarchie : tout y est décidé collectivement et les loyers très modérés sont provisionnés non pas au profit du propriétaire mais pour les réparations ou les nouveautés nécessaires à l’immeuble. Quelques joyeux hurons m’invitent dans la cour de la coop à un BBQ – barbecue – à se paqueter la gueule pour une jasette – une conversation. Alors on a petit-placoté – bavardé. Cette sympathique gang semble influencée par un municipalisme libertaire à la Murray Bookchin. Grâce au charisme de Marcel Sévigny, un ancien flic qui a participé à la grande grève de 1970, on défend chèrement sa Pointe-Saint-Charles. « Pour recréer la communauté », m’expliquent-ils en trempant leur maïs dans le beurre. On y chante aussi en chorale, mais seulement pour le quartier. La troupe s’est créée autour de la défense d’un Algérien sans papiers, Kader, qui leur faisait entonner « À bas l’État policier ! ».

Ici, on lutte, on invente et on résiste, comme ces groupes pro-féministes ou ce « Babybloc », garderie militante permettant aux familles de protester à l’aise dans des manifestations où la police cherche souvent la bagarre. « Police partout, enfants nulle part », tonne Anna, qui coordonne cette association familiale.

En 2006, le quartier a fait capoter un projet de casino. Cette victoire inespérée a donné un punch d’enfer aux opposants du coin. D’après Marcel, une expropriation populaire vient d’avoir lieu autour de ce qu’ils appellent le bâtiment 7, un immense hangar situé au coin Leber et Sainte-Madeleine. Cette friche industrielle est possédée par le groupe Mach, dont le boss a du bacon en masse – de l’argent à gogo – et considère les contestataires comme des « militants chialeux ». Si la plate-forme communautaire a mené des recours légaux, les anars de la Pointe Libertaire se coltinent de préférence les actions en face à face. En septembre 2008, une occupation permet de goûter une pièce sur Emma Goldman éclairée à la chandelle. Une autre fois, c’est à la « tire d’érable » qu’on a mené « des actions symboliques mais massives », m’indique Marco. « Tout ceci fît tant de bruit que le maire d’arrondissement voulut nous rencontrer, pour nous donner un permis qu’on n’avait même pas demandé ! » Une des plus belles revendications des opposants fut : « Le bâtiment doit être remis aux normes par le proprio, puis cédé gratuitement à la communauté. » Ce combat en passe d’être conclu sera une victoire de plus au tableau de ces activistes qui croient au travail de terrain. Ils auront « fucké le boss », comme on dit ici. Le lendemain, l’envoyé spécial de CQFD était tout magané – endommagé quand on a trop bu.

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