Brésil : La fête continue

« Une opération policière couplée avec une opération financière. » Cette formule définissant la fonction de l’urbanisme peut-elle aussi s’appliquer aux grands événements sportifs ? Au vu du déroulement de la Coupe du Monde au Brésil, c’est bien la conclusion à laquelle on arrive.
Par Rémi.

Au brésil, pour garantir le bon déroulement du Mondial et par crainte de la fronde que celui-ci a suscitée, c’est une véritable guerre intérieure qui a été menée contre la population, rappelant d’ailleurs le climat des J.O. de Londres en 2012 ou celui du Mondial en Afrique du Sud en 2010. Pendant toute la durée du championnat, un état d’exception a été mis en place dans toutes les villes hôtes. Encerclement démesuré de la moindre manif ou assemblée de rue, arrestations arbitraires, passages à tabac, perquisitions, fabrication de preuves, tous les moyens ont été employés par la police brésilienne pour étouffer le climat de contestation et garantir la tranquillité des touristes venus du monde entier. Cela n’a cependant pas empêché les actions et manifs quotidiennes, pendant toute la durée de l’événement – bien que de moindre intensité que pendant la Coupe des confédérations, en juin 2013.

Le 12 juillet, à Rio de Janeiro, veille de la finale, 21 personnes sont arrêtées à leur domicile. La plupart d’entre-elles sont liées au Frente Independente Popular (FIP), mouvement né des luttes de 2013 rassemblant diverses tendances – anarchiste, marxiste libertaire, mouvement de résistance indigène, féministe… – et partageant un même principe d’autonomie vis-à-vis des partis et des institutions. Camila, proche du FIP, revient sur son arrestation  : « Toute l’opération a été absurde et arbitraire. Nous avons été arrêtés à nos domiciles, avec des mandats d’arrêts expédiés sous le manteau, basés sur un dossier secret auquel nos avocats n’ont eu accès que bien plus tard, bien après les grandes chaînes de télévision. »

Au lendemain de cette rafle, une campagne menée par la police et les médias – principalement par GloboTV, première chaîne du pays –, durant laquelle toutes sortes de preuves fabriquées sont exhibées pour démontrer que les détenus étaient membres d’une organisation terroriste ayant planifié des attentats pendant la Coupe du Monde. Des banderoles, livres et tracts saisis lors des perquisitions sont les « preuves » de leurs intentions « subversives ». Des extraits d’écoutes téléphoniques sont grossièrement assemblés, le tout amplement diffusé dans les journaux télévisés. Accusés de faire partie d’une « organisation criminelle armée avec intention de commettre des actions violentes », les personnes arrêtées risquent jusqu’à quatre ans de prison ferme. Tout cela a beau avoir un air de déjà-vu, c’est la première fois au Brésil, depuis la fin de la dictature militaire, que le discours antiterroriste est ouvertement utilisé pour criminaliser ceux qui luttent. Camila démonte les rouages du traquenard  : « Les médias ont un énorme pouvoir dans la société brésilienne. Depuis les mouvements de juin 2013, le monopole des communications a été quelque peu bousculé. Même si Internet est une sorte de liberté surveillée, c’est un outil qui a permis aux gens de ne plus recevoir passivement les informations et de produire leurs propres contenus. D’ailleurs, l’audience de GloboTV, le Big Brother de notre société, a beaucoup faibli. Avec cette affaire, les grands médias ont tenté de réaffirmer leur pouvoir. »

La police, ainsi que le discours haineux relayé par les médias, s’en prend surtout aux mouvements indépendants, ainsi qu’aux anarchistes. Même si elle nous rappelle que la répression a touché diverses villes et mouvements, Camila nous explique pourquoi, selon elle, le Frente Independente Popular a été particulièrement visé  : « Le FIP a été pris pour cible car il n’a pas de leaders. Il est autonome, sa structure est informelle, il ne peut donc pas être récupéré. Lors du procès, ils ont tenté de désigner des chefs et de nous décrire comme un mouvement hiérarchisé. Comme nous ne cherchons pas le pouvoir, notre mouvement est incompréhensible pour l’État, il ne sait pas par où le saisir. » Le 23 juillet, devant la fragilité des preuves, les accusés obtiennent un habeas corpus et sont libérés. Ils font cependant l’objet de poursuites, sont soumis à un strict contrôle judiciaire et peuvent être de nouveau arrêtés à tout moment.

On assiste à un tournant dans la stratégie de criminalisation des mouvements sociaux. La nouvelle loi sur les organisations criminelles, votée au lendemain des mouvements de juin 2013, a déjà facilité les détentions arbitraires, notamment en octobre 2013, lorsque 70 manifestants ont été détenus pendant plusieurs jours dans la prison de Bangu, à Rio de Janeiro. Par ailleurs, un projet de loi anti-terroriste permettant d’encadrer les « manifestants violents » est en cours d’étude au Sénat. Parmi les manifestants arrêtés depuis juin 2013, trois sont toujours en prison. L’un d’eux, Rafael Braga, a été condamné à cinq ans ferme pour « port de matériel explosif » – en fait des produits d’entretien trouvés sur lui en marge d’une manifestation.

Selon Igor, accusé dans le même procès que Camila, cela correspond à une tentative de la part de l’État d’éteindre la révolte sociale que connaît le pays depuis juin 2013  : « Face à la contestation, l’État brésilien répond, à son habitude, par une intensification de la répression. Les procès et arrestations d’activistes illustrent, sans aucun doute, la contre-attaque furieuse de la part de ceux qui ont avalé de travers les mouvements de juin 2013 et qui jugent que l’heure de la revanche est arrivée.1 »

D’autre part, ces derniers mois, les expulsions se sont multipliées dans les grandes villes, visant principalement les terrains et bâtiments squattés. Ces raids se heurtent parfois à de fortes résistances, comme ça a été le cas dans l’Isidoro, en périphérie de Belo Horizonte.

Début août, les 8 000 familles qui squattent 200 hectares de terrains dans la région de l’Isidoro apprennent qu’elles vont être expulsées au profit d’une opération immobilière. Un vaste mouvement de soutien s’articule alors autour des communautés menacées. Des groupes se relaient pour monter des barricades ou guetter l’arrivée des flics. Les quelques intrusions policières sont repoussées. Selon Pedro, participant aux groupes de soutien  : « Au-delà des intérêts financiers en jeu, cette menace d’expulsion vient en représailles contre les populations qui luttent, et est une volonté de freiner les mouvements d’occupations de terrains qui se sont multipliés depuis un an, et pas seulement à Belo Horizonte. » La procédure d’expulsion a finalement été suspendue jusqu’à nouvel ordre. Le 16 septembre dernier, c’est le centre-ville de São Paulo, la plus grande ville du pays, qui se trouve être le théâtre d’affrontements, alors que des centaines de mal-logés résistaient à une expulsion2.

Cette dynamique de résistance dans les quartiers, la solidarité avec les détenus ou encore les récentes mobilisations appelant au boycott des élections présidentielles – qui auront lieu le 5 octobre prochain – démontrent la vivacité du mouvement populaire. L’argument sécuritaire et la fermeté à l’égard des « vandales » et autres « manifestants violents » est d’ailleurs l’un des thèmes de la campagne présidentielle, entonné par les différents partis. Pour Camila, la politique du tout-répressif a un lien direct avec les élections  : « Ces arrestations avaient aussi pour objectif de garantir le bon déroulement des présidentielles, de s’assurer que rien ne viendrait gâcher la mascarade électorale, mais aussi de dissuader un futur mouvement contre les J.O. de 2016. »


1 Ces propos sont extraits d’un texte écrit par Igor Mendes, disponible en portugais.

2 Pour plus d’infos en français sur les récentes occupations de terrains et les opérations d’expulsion au Brésil, consulter squat !net.

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