Ma cabane pas au Canada
Voleurs de vent, semeurs de tempête
Du 27 août au 2 septembre s’est tenue la Semaine du vent à l’Amassada, cabane construite il y a bientôt deux ans pour résister à un projet du Réseau de transport d’électricité (RTE). La filiale d’EDF prétend implanter un méga-transformateur sur sept hectares de terres agricoles, au lieu-dit de La Plaine, commune de Saint- Victor-et-Melvieu, afin de dispatcher l’électricité produite par la « zone industrielle éolienne » qui grignote petit à petit toute la région. Autant dire que le site est devenu stratégique pour les nouvelles autoroutes de l’énergie, ce tentaculaire réseau qui ne cesse de s’étendre et de coloniser nos territoires. Autant dire aussi que la bagarre menée à l’Amassada est un « problème sérieux » pour les promoteurs dudit projet. Et pour nous, un superbe pied de nez !
Cette Semaine du vent aura été l’occasion de se préparer à l’atterrissage de l’enquête publique, grande farce prévue pour l’automne… L’occasion aussi de construire ensemble de nouveaux espaces. Et d’attendre avec impatience la signature de l’acte d’indivision sur le rachat des terres environnantes. En effet, 136 personnes sont devenues propriétaires à titre individuel de 3 300m2 autour de la cabane, ce qui permettra de ralentir juridiquement l’expropriation fomentée par RTE. Un geste de résistance parmi d’autres, sorte de « barricade de papier » inspirée de celle des No-TAV dans le Val-de-Suse, en Italie.
Au volant du tracteur qui apporte des stocks de pierres, François s’écrie, avec un grand sourire : « Bientôt le hameau de l’Amassada ! » C’est en effet assez émouvant de voir toute cette énergie prendre racine. Alors que certains bâtisseurs sont penchés avec toute l’attention qu’elles réclament sur les bases du mur en pierres sèches qui accueillera prochainement les ballots de paille, d’autres planent le bois rond qui servira de charpente, pendant que d’autres encore confectionnent une banderole armée de dix mètres de long qui sera posée en surplomb de la route : « RTE, DÉGAGE. »
Agnès, élue au conseil municipal de la Roche-de-Rame, en Haute-Durance, raconte qu’après des années de mobilisation contre les lignes THT, les gens ont les idées plus claires sur l’utilité d’une enquête publique : « La concertation en amont sert uniquement à ce que les élus et les associations “représentatives” participent à l’encadrement, à l’accompagnement du “débat”. Le projet est déjà là. Et ne peut être contesté. De toute manière, c’est le préfet qui prend la décision. Le but de l’enquête publique n’est pas de dire si le projet est bon ou pas, c’est de définir où vont passer les lignes. Au final, on nous a pris pour des cons. Maintenant, on rentre en phase de résistance, on fait des manifs, on essaye de bloquer les chantiers, on a occupé les locaux de RTE, on ralentit les travaux au maximum. Mais RTE avance à une vitesse de dingue, la montagne est scarifiée ! »
Le soir, on part en tracteur aux projections prévues dans le village de Saint-Victor. Dans la benne, derrière, ça chante à tue-tête sur un air pop : « R-T-E dé-gage de notre pay-sage, tes py-lônes et tes crédits carbone se-ront ba-layés, bien loin de nos con-trées, allez, allez, allez-allez-allez… » On verra d’abord le docu Somos viento, en présence de George Lapierre, sur le combat des communautés de pêcheurs dans l’isthme de Tehuantepec (sud du Mexique) contre la colonisation éolienne. Le lendemain, rebelote pour le film rigoureux et vivifiant sur l’Amassada : « Pas res nos arresta. »
Clou de la semaine, les collectifs anti-éoliens et antilégion sur le Larzac s’invitent à une réunion du Scot (Schéma de cohérence territoriale) prévue au Parc régional des Grands-Causses, à Millau, et dont le président, Alain Fauconnier, est connu de longue date comme un radicalisé de l’industrie éolienne et autres éco-fourberies. Les bureaucrates et élus locaux se font joyeusement chahuter et Fauconnier est gaiement « enveloûté » de jus de betterave, comme aux bonnes heures des « attentats pâtissiers ». De quoi redonner de l’entrain et de la matière pour la conférence d’Anna Bednik, le soir même, sur son livre Extractivisme, exploitation industrielle de la nature, logiques, conséquences, résistances. Anna l’affirme sans détour : « Tout ce qu’on nous présente aujourd’hui en termes d’énergies renouvelables, à un niveau d’exploitation industrielle bien sûr, rentre dans une logique extractiviste. On sait maintenant, notamment après les travaux de Philippe Bihouix, que le fonctionnement d’une éolienne industrielle, par exemple, nécessite l’extraction de terres rares à l’autre bout de la planète. Extraction qui se fait dans des conditions inhumaines et dévastatrices pour l’environnement. À l’examen, l’économie verte n’est pas du tout verte ! »
À l’Amassada, les gens sont prêts à bloquer l’enquête publique. En tout cas, cette semaine aura été un moment de rencontre entre différentes résistances territoriales, de l’Aveyron, des Cévennes, mais aussi de Roybon, de Bure, du Val-de-Suse… « L’Amassada, dit Sylvain, un gars de la région qui participe à la construction du mur de fondation, c’est un peu comme une brèche dans leur plan de développement, comme un point d’ancrage, un lieu où les gens peuvent se rencontrer, se transformer dans la lutte. Dans des moments comme celui-ci, la vie prend une autre consistance, et ça donne envie que ça dure. »
Cet article a été publié dans
CQFD n°147 (octobre 2016)
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Paru dans CQFD n°147 (octobre 2016)
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Mis en ligne le 15.03.2019
Dans CQFD n°147 (octobre 2016)