Fiasco écologique en Bretagne

Thalassaut sur Larmor-Plage

Le littoral Lorientais, future perle de la thalassothérapie ou naufrage écologique annoncé ? Sur ce rivage breton, un énorme projet de centre de bien-être soulève une vague de contestations.
Djaber

En ce début de mois de mai, à peine le soleil a-t-il pointé le bout de son nez que déjà le littoral breton se peuple de ses éternels amateurs de châteaux de sable. À Larmor-Plage, petit havre côtier à quelques kilomètres de Lorient, kitesurfeurs et premiers baigneurs se partagent les rivages de l’anse de Kerguelen. Un coin tranquille, au format carte postale, où couvent pourtant des tensions croissantes autour d’un projet controversé. Dans les tuyaux depuis 2019, la construction d’un centre de thalassothérapie à deux pas de la plage n’est pas du goût de tous. Porté par la société Relais Thalasso et chouchou de la mairie locale, ce projet vise à faire de Larmor un haut lieu du tourisme de luxe. Pour de nombreux riverains, militants et associations environnementales, réunis sous la bannière du collectif StopThalasso1, la promesse d’une affluence touristique accrue dans une zone déjà éprouvée par l’érosion côtière est une menace sérieuse pour l’équilibre écologique de la région.

Tout pour le tourisme

« L’idée d’établir une thalasso dans cette zone n’est pas nouvelle ! Mais ce projet est le premier à avoir de réelles chances d’aboutir », explique Stéphane, ancien consultant dans un cabinet d’expert-comptable et membre de StopThalasso. Pour les autorités locales, faire grimper le nombre de visiteurs dans cette petite commune de 8 000 âmes semble être une priorité absolue. Une vieille obsession qui s’exprime depuis les années 1990, période durant laquelle des projets semblables avaient émergé, pour finalement être abandonnés2. Aujourd’hui encore, Patrice Valton, maire divers droite de Larmor, ne rate pas une occasion de brandir le titre « station classée de tourisme » obtenu en 2018, convaincu de la nécessité d’accroître les capacités hôtelières de la ville pour le conserver. Pourtant, à part la possibilité d’un surclassement démographique permettant le renforcement de l’administration communale et quelques dotations supplémentaires de l’État réservées aux petites communes, l’intérêt de ce titre paraît maigre. Son avantage le plus tangible semble destiné aux élus : il offre la possibilité d’augmenter leurs indemnités de 25 % pour les communes de plus de 5 000 habitants. De quoi redonner le sourire à tout un conseil municipal !

«  On nous vend l’attractivité, l’emploi, la croissance, mais ce sont des visions à très court terme !  » déplore Olivier, membre du collectif. Docteur en science de l’environnement, reconverti dans le maraîchage, il connaît bien les problématiques locales. « Le site envisagé borde une zone humide protégée, recensée ZNIEFF3, qui joue un rôle essentiel dans l’équilibre écologique du lieu, notamment grâce à la présence d’arbres et de végétation structurant la dune », explique-t-il. Pour satisfaire la demande des 1 262 clients attendus quotidiennement, le centre de thalasso devra grignoter quatre hectares de bord de mer sur lesquels seront installés trois bâtiments massifs de trois étages. Ces structures accueilleront un hôtel quatre étoiles, des piscines d’eau de mer chauffées, et deux restaurants. À seulement 200 mètres de la plage de Kerguelen, le cadre est idyllique. Mais il est aussi situé juste au-dessus d’un espace dunaire menacé par l’érosion côtière et la montée des eaux4. Pire encore, une station de pompage et diverses infrastructures pourraient être construites sous la dune, risquant de porter un coup sévère à cet habitat déjà fragile. À cela s’ajoute le problème du captage et du rejet des eaux. Les SPA et autres piscines privées, paradis pour quinquas fortunés en claquettes-peignoirs, sont hyper-consommateurs en eau : les volumes prélevés sont estimés à 250 000 litres quotidiens. Or, le traitement de ces eaux, destiné à éliminer les résidus de produits cosmétiques, particules et microbes, reste encore imparfait. Pour les opposants au projet, celui-ci est d’autant plus aberrant que la région est déjà saturée par les centres de bien-être : le Morbihan en compte quatre, tandis que le centre de la Bénodet, dans le Finistère, n’est qu’à une heure de Lorient.

Promesses brumeuses

De leur côté, les promoteurs du projet se veulent rassurants. Partout dans la presse locale, on peut entendre Jean-Pascal Phelippeau, PDG du groupe Relais Thalasso, défendre son futur établissement. « On peut développer la thalasso en préservant l’environnement », assure-t-il dans un entretien pour Ouest-France en mars dernier. Une déclaration audacieuse quand on sait qu’aucune étude environnementale n’a été menée. « Relais Thalasso joue avec les limites réglementaires : le projet étant juste en dessous de 10 000 m² de surface plancher, aucune étude n’est exigée, explique Stéphane. On suspecte un dépassement, mais on ne peut rien prouver sans les plans, et de toute façon, jusqu’à 40 000 m², cela reste à l’appréciation du préfet.  » Face à cette situation, le collectif pointe du doigt la délibération du conseil communautaire de Lorient Agglo de décembre 2019 qui a vu le projet approuvé. « Comment les élus ont-ils pu prendre une décision éclairée sans être informés des conséquences environnementales ? » interroge Stéphane.

D’autant que le projet traîne derrière lui un sillage de batailles juridiques. Créé en juin 2023, le collectif StopThalasso est le dernier maillon d’une chaîne de contestations menées initialement par quatre associations locales : Tarz Héol, les Amis des chemins de ronde, Bretagne vivante et l’Union pour la mise en valeur esthétique du Morbihan. Celles-ci avaient attaqué le permis de construire en engageant une procédure en référé qui avait gelé le projet. Le tribunal avait annulé ce permis en 2022, invoquant des erreurs procédurales, une décision elle-même renversée en appel en 2023. C’est le Conseil d’État qui a finalement tranché en février dernier, validant définitivement le permis. « Dans toutes ces joutes juridiques, les arguments de fond que nous avancions ont été systématiquement éclipsés par des questions de procédure  », commente Stéphane, exaspéré.

Défense acharnée

Malgré les revers juridiques, le collectif ne démobilise pas. En ce début de mois de mai ensoleillé, sur le site de Kerguelen, Olivier, a donné rendez-vous à Jean-Paul, géologue et ancien professeur d’université, pour une session de carottage. Avec l’aval de l’agriculteur exploitant les terres, ils s’apprêtent à sonder le sol couche par couche. Si une zone humide était découverte, elle serait susceptible d’être protégée par le Code de l’environnement. « Cela ne les stoppera pas nécessairement, concède Olivier. Ils ont toute une palette de stratégies compensatoires. Mais on pourrait au moins ralentir leurs plans. » Jean-Paul renchérit : « D’autant que la destruction des zones humides est un sujet sensible ! » Mobiliser l’opinion publique pour faire pression sur les pouvoirs locaux, telle est la stratégie déployée par le collectif depuis l’échec des recours juridiques. Après une inspection minutieuse de la parcelle, leur intuition se confirme : le terrain est vraisemblablement humide, d’autant que certaines sections du champ restent inutilisées par l’agriculteur, qui les considère trop marécageuses pour y passer son tracteur.

Les deux hommes se quittent en se donnant rendez-vous le soir même. Le collectif StopThalasso a convoqué une réunion à la Maison des associations, un ancien collège désaffecté situé au nord de Lorient. Dans une salle de classe disposée en U, une trentaine de personnes se rassemblent. Parmi elles, des représentants d’associations, des pionniers du collectif, des nouvelles têtes et des militants de différents partis. Plus de cinquantenaires que de vingtenaires, mais l’énergie est là, contagieuse. Au cours de la réunion, tout est passé en revue : les articles parus dans la presse, les stratégies, les prochaines actions, les retours de terrain, les textes en préparation… « Nous avons demandé à notre pôle plaidoyer de préparer un document de référence, fournissant un argumentaire détaillé. Cela permettra à tous les membres, en particulier aux femmes, qui ont souvent peur de manquer de compétences, de se saisir du sujet », partage Claire, sourire complice aux lèvres. Depuis quelque temps, le collectif se donne rendez-vous chaque semaine pour peaufiner sa stratégie et consolider les rangs : rappel que la lutte ressemble bien plus à une course de fond qu’à un sprint.

Par Gaëlle Desnos

1 Plus d’infos sur leur site : stopthalasso.legtux.org.

2 Dans les années 1990 et 2000, des initiatives avaient été lancées, à l’instar d’un projet porté par le Groupe HMC et la société Bouwfonds Marignan Immobilier, annoncé en 2009 et finalement abandonné.

3 Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

4 Une étude en cours du Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement (Cerema) sur l’érosion côtière identifie la zone comme « très sensible ».

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CQFD n° 231 (en kiosque)

Dans ce numéro de juin, on écoute le vieux monde paniquer. On suit les luttes des personnes trans pour leurs droits, on célèbre la mort de Jean-Claude Gaudin, et on s’intéresse à la mémoire historique, avec l’autre 8 mai en Algérie. Mais aussi un petit tour sur la côte bretonne, des godes affichés au mur, de la danse de forêt et un aperçu de l’internationalisme anarchiste. Bonne lecture !

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